DOSSIER-CPI-ACTE II :GBAGBO EST-IL COUPABLE ?  RÉVÉLATIONS : «L’ÉLYSÉE PREND UNE INITIATIVE D’ÉCRIRE A LAURENT GBAGBO»  «NOUS POUVONS ASSUMER LA PROTECTION DE VOTRE ÉPOUSE, AU CEMA, MANGOU QUI AVAIT DÉJÀ BASCULÉ;

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 «ZUMA RESTAIT RIVE SUR LA CONSTITUTION IVOIRIENNE…»

gbagbo cpi  Novembre 2011-janvier 2016- A La Haye! A quelques heures de son procès qui sera inscrit en lettres d’OR dans l’histoire de l’humanité, ‘‘ledebativoirien.net’’, ouvre quelques pages des dernières minutes de la chute de Laurent Gbagbo. En s’appuyant sur les regards et témoignages de sa dernière bataille d’Abidjan, objet de sa détention dans les  liens de Cour pénale internationale, entre cris et manifestations. Tenant en main ‘‘Le crocodile et le scorpion’’ avec quelques révélations et fables du Français  Jean-Christophe Notin, compatriote de Nicolas Sarkozy qui a été en avant plan du combat d’Abidjan, ‘‘ledebativoirien.net’’, vous guide au cœur des ultimes  heures d’intrigues meurtrières. Allons-y pour une plongée au cœur des révélations avec ‘‘Le crocodile et le Scorpion’’ dans les ultimes   heures d’intrigues meurtrières, à Abidjan… Acte II.

 A la croisée des destins

 L’ambassadeur Jean-Marc Simon se rend en effet tous les jours au Golf hôtel rencontrer soit le président ivoirien élu, soit son directeur de cabinet, soit Soro, raconte Jean-Chritosphe Notin.

 ‘‘Je sentais Ouattara confiant. Il estimait que Gbagbo allait finir par céder de toute façon. On a pensé qu’il serait bon qu’il s’installe à Yamoussoukro. Mais c’était très difficile en raison de la présence de la garde républicaine. Il fallait en particulier s’assurer la possession de l’aéroport’’. Confie l’ambassadeur.

Un plan est rapidement ébauché par Soro :

 les forces nouvelles descendraient du nord par l’ouest, secteur jugé plus facile puis rebiqueraient vers la capitale en transversale. Seul inconvénient, mais de taille : «Ils se sont vite rendu compte, explique Simon, que leur puissance militaire était  totalement dérisoire». Le schisme ivoirien se cristallise avec deux présidents, deux administrations, deux armées, qui retrouvent leur autonomie d’avant 2005.

soro«Que dois-je faire, confie par exemple une haute autorité militaire ivoirien au Comanfor. Je suis  général, nous avons une Constitution semblable à celle de la France, donc je dois rester loyal au président  en place». Le général Palasset ne lui en porte pas grief,  lui-même se demande ce qu’il ferait en pareille situation.

Toutefois, il n’hésite pas manier la menace : «Je leur disais : faites attention, il y a déjà  eu le Rwanda, la communauté internationale ne restera pas passive, vous en courrez tous  une  comparution au TPI».

La DGSE en approche certains pour leur vanter les mérites d’un ralliement, mais la plus belle prise de guerre pour Ouattara serait indéniablement le CEMA, Phillipe Mangou, qui est annoncé à quelques reprises comme ayant basculé en sa faveur.

L’attaché de défense français, le colonel Héry, qui le connait depuis 2002 se rend chez lui, sur ordre, pour un entretien particulier au goût de solde de tout compte :

«Il n’est jamais trop tard pour faire machine arrière, lui explique-t-il. Si vous le décidez, sachez que nous pouvons assumer la protection de votre épouse. Sinon, vous savez ce qu’il va se passer, combien vos actes sont illégaux et comment nous finirons par intervenir». Mangou affirme avoir compris le message.

Mais le colonel l’a à peine quitté qu’il s’empresse de tout rapporter à Gbagbo. Et la seule discussion entre  officiers supérieurs devient une tentative de débauchage, Mangou déclarant qu’il lui aurait été demandé de placer l’armée ivoirienne sous le commandement de Ouattara.

MANGOU«Je n’ai pas pu lui proposer ce genre de marché, explique Héry. Mon accréditation aurait été immédiatement retirée  par le gouvernement ivoirien». Prudent, le CEMA ivoirien continuera jusqu’à fin mars à se ménager la bienveillance des deux camps  en conservant sa place auprès de Gbagbo tout en entretenant le contact avec Licorne.

Le régime bénéficie encore d’actifs en France.

 «La France ne doit pas être en première ligne dans cette affaire-là; déclare Pierre Moscovici, parce que nous ne sommes plus dans la Françafrique». Et il y a les compagnons de route de Gbagbo qui, refusant de renier leur amitié, probablement de bonne foi. Guy Labertit évoque «une tentative d’usurpation du pouvoir orchestrée par l’ONU».

De leur coté Henri Emmanuelli et François Loncle signent de conserve un communiqué accusant «la majorité des médias français, relayés par un certain nombre de responsables politiques ». Tous de donneurs de leçons d’avoir entrepris une campagne de suspicion  et de dénigrement  à sens unique dirigé contre les autorités ivoiriennes.

L’Elysée prend pour nouvelle initiative d’écrire une lettre à Laurent Gbagbo. Y sont reprises en fait les propositions qui lui ont  été soumises par téléphone onze jours plus tôt-par Sarkozy-lui offrant une porte de sortie honorable.

Sarkozy obtient de Goodluck Jonathan, président de la Cedeao, qu’il fasse de même,  mais quand il se tourne vers les Etats-Unis, l’administration américaine fait ajouter une allusion à  d’éventuelles poursuites pénales. Est-ce la raison  pour laquelle le président Obama, se rendant compte que la démarche est, dès lors, vouée à l’échec, ne la signe pas lui-même ?

Chaque jour apporte une mauvaise nouvelle pour Gbagbo.

LICORNE ABDJANLa France dispose de multiples leviers d’action économiques et financiers en Afrique. Héritage historique, le trésor français est le gardien des traités de coopération monétaire pour les trois monnaies africaines ; il peut accorder des prêts aux banques centrales en difficulté, mais en contrepartie, ses hauts fonctionnaires siègent au sein de diverses instances financières africaines.

Ainsi, sous-directeur aux affaires  financières internationales, Rémy Rioux est-il le représentant de la France à la BCEAO depuis 2010. [L’enjeu du trésor français  est trop important] pour bien calibrer les actions  à mener. L’asphyxie financière du  régime est organisée.

L’arrêt des financements de la Banque Mondiale et du FMI. Les rentrées fiscales s’annoncent mauvaises. Gbagbo doit improviser  des parades pour trouver au moins 100 milliards de francs CFA nécessaires chaque  mois au fonctionnement de l’administration. Le gouvernement ne rembourse plus ses dettes, à commencer par 30 millions de dollars d’intérêts qu’il devait verser à un consortium de banques fin décembre 2010.

Tout contribuable doit payer ses impôts en cash ou sur un compte encore accessible par le pouvoir en place. Certaines des grandes entreprises françaises s’y plient parfois aussi. L’apprenant l’avocat Jean-Paul Benoît s’avise d’approcher à Paris l’une d’elles :

«Il était notoire que son entreprise alimentait Gbagbo en cash via des commissions sur ses activités. Je suis  donc allé lui demander que,  par mesure d’équité, mais aussi dans son propre intérêt, pour conserver  plusieurs fers au feu, elle en verse aussi une partie à Ouattara qui, bloqué au Golf hôtel, manquait cruellement de finances.

Il m’a répondu que ‘‘les affaires n’étaient plus ce qu’elles avaient été, qu’il n’avait pas les moyens, etc.’’ Je lui ai suggéré d’au moins appeler Ouattara. Il m’a expliqué qu’il ne voulait pas discuter au téléphone…».

ZUMAOuattara suggère au ministre des Finances de Gbagbo, qui venait de le rallier, de s’envoler au plus vite vers Paris avec pour feuille de route l’organisation de soutien international. Charles Koffi Diby joue un rôle  important à Paris, à Washington et à Dakar,  comme une sorte d’ambassadeur itinérant de Ouatara. Ce qui ne sera pas sans lui porter préjudice, puisque, ne revenant jamais au Golf, des doutes sur sa loyauté émergeront indûment.

Les tractations se concentrent donc  sur la personne même de Gbagbo. Ouattara précise qu’il ne le contraindra pas à l’exil, puisqu’il prononcera une amnistie en sa faveur et le fera bénéficier d’un statut d’ancien chef d’Etat. Ouattara explique qu’il n’envisage pas une guerre contre le régime, mais ‘‘une opération spéciale’’, ‘‘non violente’’ pour s’emparer de Gbagbo.

Et de prendre pour exemple l’arrestation de Noriega, en oubliant de préciser qu’elle avait nécessité en 1989 l’intervention de 50.000 GIs. En tête, il en fait l’un des projets abracadrantesque de l’Ecomog, qui envisage l’infiltration des forces spéciales africaines par les égouts d’Abidjan pour capturer l’ancien président en sa résidence. Sauf que la Cedeao n’a absolument pas les troupes adéquates.

«Vu la lente détérioration sécuritaire à Abidjan, relate le colonel Hintzy, commandant  du Batlic, on sentait que quelque chose allait survenir dans les semaines à venir et nous avions tous l’appréhension d’être relevés!»

«Petit à petit, note ainsi le colonel Geoffroy de Larouzière-Montlosier, comandant le 16 BC, la tension est aussi  montée à Bitche. Nous devions nous préparer à vivre des moments difficiles».

LICORNE«Finalement, reconnaît son chef, le général Castres, ce que nous n’avions pas anticipé était que Gbagbo nous coupe l’accès au carburant ou nous fasse des difficultés avec le dédouanement»…

 A la tête du Detalat le lieutenant-colonel Stéphane G., du 1er RHC, prend la suite du lieutenant-colonel  Pierre V. du 5ème RHC qui lance, prémonitoire : «Vous n’allez pas faire un séjour, mais une opération !». Pour les  Gbagbo, Jean-Marc Simon n’est plus qu’un ‘‘sans emploi, un citoyen français ordinaire’’.

La voix hertzienne venue du ciel: TCI

Le gouvernement français résout en partie une grave déficience du clan Ouattara, son bannissement des ondes. Tout d’abord il intervient auprès du diffuseur satellite de la RTI, Canal+Horizon, ainsi que de l’opérateur du satellite  lui-même, l’Américain Intelsat, pour réfléchir à l’écho qu’ils offrent aux propos de Gbagbo. Le retour de Ouattara sur les ondes devient une priorité stratégique.

«Il importait, explique un conseiller à l’Elysée, que Ouattara puisse s’afficher avec ses pairs en Afrique et à l’international». La première étape a été la création d’une station  radio, ‘‘Radio côte d’Ivoire’’, qui ne nécessita guère de moyens. Mais c’est surtout le petit écran qui est à conquérir: ‘‘Télévision Côte d’Ivoire’’ (TCI) voit le jour le 22 janvier 2011.

Diffusés en ondes hertziennes, les deux  médias sont facilement brouillables. La France prend donc l’affaire en main et, comme elle ne peut l’assumer officiellement, c’est la DGSE qui est chargée d’acheminer le matériel nécessaire à une émission satellitaire. En particulier, une antenne parabolique de grande taille est livrée à Bouaké, posant  quelques soucis aux hélicoptères  ayant mission de la rapatrier à Abidjan.

Elle arrive en pièces détachées et transportée  jusqu’à l’hôtel Ivoire où les techniciens de la ‘‘ DG’’  s’occupent de la mettre en service. TCI sera ainsi relayée à partir du 17 février par Eutelsat. Le décodeur Strong est nécessaire, du matériel standard, mais encore faut-il le trouver. En huit jours, la capitale en est miraculeusement pourvue…

Le visage du vainqueur des élections réapparaît.  Donc sur les écrans ivoiriens. Quant à sa voix, elle est aidée par un officier de la DGSE qui participe au Golf hôtel  à la rédaction de ses discours. Puisque caméras et prompteurs sont fournis par les Français, Ouattara ne serait-il qu’un homme de paille confortablement installé ? D’autant que la facture de l’hôtel elle-même est largement prise en charge par le budget français ?

Jean-David Levitte certifie que Nicolas Sarkozy «l’avait au moins une ou deux fois tous les deux jours au téléphone, pour prendre le pouls de la situation, pour le conseiller, en  rien pour lui dire quoi faire».

6620932 9987870Gbagbo peut-il cependant ignorer l’assistance française dans ce pays où tout se sait ? En tout cas, lui et les siens n’en disent rien. Au sommet de l’Union Africaine les 29 et 30 janvier, le président français  ne fait qu’une brève allusion à la Côte d’Ivoire : «La France apporte un  soutien résolu aux efforts de l’Union Africaine, de la Cedeao et du secrétaire général des Nations unies».

La tempérance du Français satisfait l’Angolais Dos Santos dont les services auraient fait savoir à l’Elysée qu’il réclamerait un droit de réponse en cas de propos trop fermes à l’encontre de Gbagbo qu’il soutient encore. Après un premier mois de fermeté, l’Union Africaine semble vaciller.

Alors qu’elle réclamait jusqu’alors le départ de Gbagbo, voilà que son président de commission, le Gabonais Jean Ping, ne se dit «plus sûr qu’il faille présenter les choses ainsi». Le Quai d’Orsay l’a toujours suspecté de pro-gbagboisme en raison des origines ivoiriennes de sa femme.

En coulisses, Choi croit que le clan Gbagbo n’écarterait plus la solution qui leur tient à cœur, un destin à la Kérékou [Président du bénin qui fut battu aux élections en 1991 pais réélu en 1996].

Plus l’heure des armes approche pour Licorne,  plus le général Palasset veille à  la retenue de ses hommes. Le colonel Hintzey patron du Baltic, vérifie que son unité a bien compris sa mission : Abidjan n’est pas Kaboul. Là-bas, quand  une troupe est prise à partie, la légitime défense l’autorise à répliquer dans la seconde.

Officiellement Paris affiche toujours sa neutralité

Lâché pour de bon par l’union Africaine, même Jacob Zuma a fini par l’abandonner après sa visite en France le 2 mars. Paris comme certains l’avancent, aurait-il acheté sa volte-face avec des avantages financiers pour l’Afrique du Sud via l’Agence française du développement ?

Présent à l’entretien avec Nicolas Sarkozy, aux deux-tiers consacrés à la Côte d’Ivoire,  Jean-David Levitte dément formellement : «Le ton a été parfois vif, note-t-il. Le Sud-Africain préconisait une solution à l’africaine, le partage du pouvoir dont nous ne voulions pas par  soucis du respect des urnes.

Le crocodile et le scorpionAucun des deux présidents ne lâchait prise. Zuma  restait rivé sur la Constitution ivoirienne». Nicolas Sarkozy, lui, est sorti très tendu de la rencontre mais «satisfait d’avoir eu une discussion sur le fond »…

«Il est toujours au pouvoir, a noté le New York Time, le 16 mars. Mais à bien y regarder, l’Ivoirien a perdu de sa superbe. La raison en est simple : ses finances seront bientôt vides. «Le régime a tout de même tenu un mois de plus que ce que nous pensions», relate le directeur-adjoint du ministre français de l’Economie et des Finances.

«Nous avons aussi mobilisé l’intelligence économique, ajoute Christophe Bonnard, pour vérifier que Gbagbo ne se finançait pas par exemple par la vente du stock d’or ivoirien». Mais la DGSE n’a pas relevé de mouvements notables… Le scenario est plaisant !

Acte III à suivre…

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