BURKINA FASO : SOS POUR LES FILLES MARIÉES DE FORCE DITES  » FILLES QUI DORMENT DANS LES ARBRES »

"Young women hold hands in a shelter run by Nuns, these young women have courageously fled forced marriage or early and unwanted pregnancies. Ouagadougou, July 2014".Au Burkina Faso, on appelle les femmes qui fuient leur époux à qui on les a mariées de force «les filles qui dorment dans les arbres». Une bien belle expression qui cache une terrible réalité, comme nous l’explique Geneviève Garrigos, présidente d’Amnesty International France. L’interview de Marie Desnos, Paris match.

Amnesty International a publié mardi un rapport affolant sur les mariages précoces-où l’un des futurs époux a moins de 18 ans-et forcés-où l’un au moins des partenaires n’a pas donné son consentement-au Burkina Faso. Entre 2009 et 2013, le ministère de l’Action sociale et de la Solidarité nationale a recensé 6 325 filles et 860 garçons (plus de 1 000 enfants par an) soumis à des mariages forcés et précoces au Burkina Faso.

Dans la région du Sahel située dans le nord du pays, 51,3 % des filles âgées de 15 à 17 ans sont déjà mariées. Geneviève Garrigos, présidente d’Amnesty International France, nous a expliqué les déterminismes de cette tradition et les solutions que préconise l’ONG de défense des droits de l’Homme pour y remédier.

Cette jeune fille de 13 ans qui a été victime de viol découvre comment démarrer une nouvelle vie dans un refuge de OuagadougouUne tradition très ancrée

Paris Match: D’où vient cette tradition du mariage précoce ? Comment s’explique-t-elle ?

Geneviève Garrigos. Les raisons sont traditionnelles et non culturelles. Vous savez, il n’y a pas si longtemps, cette pratique existait encore en Europe. Il s’agit de mariages à but économique ou social, qui perdurent dans les régions pauvres. Ils permettent de renforcer les liens entre familles, d’acquérir des biens ou de l’argent. Les femmes sont traitées comme une forme de marchandise. Elles n’ont pas le choix d’épouser qui elles souhaitent, et c’est d’ailleurs aussi pour cela qu’on les marie très jeunes.

Cette jeune fille de 13 ans qui a été victime de viol découvre comment démarrer une nouvelle vie dans un refuge de OuagadougouC’est une pratique très ancrée, perpétuée par la violence et d’autres moyens de pression.

Quand je me suis rendue sur place l’an dernier, dans des centres d’hébergement des jeunes filles qui fuient leur mari, il y avait des poursuites judiciaires engagées contre le père de l’une d’entre elles, mais l’on a appris qu’alors même que la procédure était en cours, il était en train de préparer le mariage de sa plus jeune fille…

Le rapport évoque aussi la pratique, dans certaines zones, du «Pog-lenga» ou «femme bonu», selon laquelle la nouvelle épouse peut amener en «cadeau» une nièce comme énième épouse au mari. C’est significatif.

Vous parlez de zones pauvres et rurales. C’est différent à Ouagadougou par exemple ?

Oui, car dans les grandes villes, et notamment dans la capitale, le niveau d’éducation, y compris des femmes, est plus élevé. Dans les zones reculées, l’obscurantisme entretient des croyances obscures. Une femme qui s’enfuit de chez son mari est souvent renvoyée chez lui et battue, sa famille craignant par exemple qu’on lui jette un sort.

Les femmes ont également plus facilement accès à la contraception, ce qui évite les grossesses non désirées qui mettent les femmes dans des situations précaires, et les grossesses multiples (et précoces) qui provoquent de nombreuses complications.

Foyer de jeunes filles à Kaya. Burkina Faso has one of the lowest rates of contraceptive use among women in the world. It also has one of the highest maternal mortality rates in the world. By the time they are 19 years old, most girls are married, and nearly half of them are already mothers. Under the Universal Declaration of Human Rights, and Burkina Faso’s Constitution, women and girls are entitled to the same human rights as men and boys. But in practice, they are discriminated against and denied their rights. They are too often unable to make decisions about many aspects of their lives including when to have children and how many. Access to contraception is central to preventing unintended pregnancies, reducing the number of abortions, and enabling women to time their births. But women and girls in Burkina Faso are denied access to contraception because of cost, lack of information, travel distances, and men and boys’ attitudes. By denying them access to contraception information and products, Burkina Faso prevents women and girls from fully enjoying their human rights.« Les femmes qui s’enfuient doivent être intégrées dans des programmes de réinsertion » 

Ces complications font partie des conséquences du mariage précoce. Quels sont les autres problèmes que cela engendre ?

Des violences que j’évoquais précédemment, le viol… L’abandon des enfants également… De manière générale, les femmes qui s’enfuient se retrouvent dans des situations vulnérables si elles ne sont pas intégrées dans des programmes de réinsertion. 

Quelles solutions préconisez-vous pour lutter contre ce fléau ?

Nous appelons à la protection, la prise en charge et la formation des victimes. Concrètement, il faut que l’Etat s’assure qu’il y ait des centres, des institutions pour prendre en charge ces jeunes filles qui fuient leur mari, avec leurs enfants ou bébé à venir si elles sont enceintes.

Il faut en outre que ces centres prévoient la formation de ces rescapées, afin qu’elles puissent se réinsérer dans la société et non rester dépendantes. Nous avons rencontré, l’an dernier, une femme qui avait passé toute sa vie dans le centre, parce qu’elle n’avait nulle part où aller. Les accueillir ne suffit pas.

filles forcées mariageCette jeune fille de 13 ans qui a été victime de viol découvre comment démarrer une nouvelle vie dans un refuge de OuagadougouNous prônons aussi un meilleur accès à la contraception pour éviter les problèmes liés aux grossesses rapprochées et nombreuses. Mais aussi parce qu’une grossesse hors mariage peu avoir des effets catastrophiques pour la mère et l’enfant, qui peuvent être rejetés par leur famille. On les appelle les «filles qui dorment dans les arbres», une très jolie expression pour une situation dramatique.

Nous souhaitons également qu’il y ait de grandes campagnes comme cela s’est fait au Burkina mais aussi au Mali contre les Mutilations génitales féminines. Pour éduquer les mères, les pères, les professeurs des écoles. Les associations qui travaillent sur les droits des femmes ont besoin de financement –de l’Etat et des Institutions internationales, y compris l’Union européenne. Nous appelons les bailleurs de fonds à s’intéresser à cette question précise du mariage précoce, qui fait partie d’un tout.

FILLES MARIEES DE FORCEEnfin, la justice doit «suivre». L’impunité ne doit pas régner. Leïla Alaoui, son « empathie » et sa « délicatesse »

Il y a bien une loi qui interdit le mariage des filles de moins de 17 ans et le fait d’obliger quelqu’un à se marier. Mais dans les faits, cela ne semble pas suffire…La loi ne change pas les mentalités. Elle donne des droits et des recours. Il faut qu’ils soient applicables et appliqués. C’est pourquoi le soutien des associations est fondamental, ainsi que l’éducation des jeunes filles à la reproduction, à la contraception.

Nous appelons en outre à l’extension de la loi, qui ne vise à l’heure actuelle que les mariages civils tandis qu’il y a une majorité de mariages traditionnels et religieux.

 A ce jour, y a-t-il des procès pour juger les responsables de ces mariages précoces et violences qui en découlent ?

Il y a des poursuites mais peu de moyens et la protection n’est pas suffisante. C’est comme pour toutes les questions de info1328violences faites aux femmes, y compris en France : en fonction du commissariat, de l’interlocuteur à qui vous avez à faire, votre traitement sera totalement différent.

Souhaitez-vous dire un mot sur Leila Alaoui, décédée dans l’attentat du 15 janvier dernier à Ouagadougou alors qu’elle travaillait pour Amnesty ?

Je ne la connaissais pas personnellement, mais elle travaillait sur des portraits de femmes (ces « héroïnes », en vue de l’exposition qui a tout de même eu lieu le 8 mars, pour la Journée de la femme) qui ont toutes loué son empathie et sa délicatesse. En sortant ce rapport, on ne peut que penser à elle.

Par Paris Match  

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