ABIDJAN : FACE A L’INERTIE DE L’ETAT, LES POPULATIONS REGLENT ELLES-MEMES LES CAS AUX MICROBES

Un an après le lynchage d’un de leurs chefs, les «microbes» ont repris du service à Abidjan. Depuis février, ces jeunes désœuvrés, dont l’âge varie entre 10 et 25 ans, multiplient les agressions dans les quartiers de la commune d’Abobo, au nord de la capitale économique ivoirienne. Des raids dont les ressorts ont été analysés par un groupe de chercheurs à l’origine du documentaire Phénoménologie de la violence criminelle dans les villes ivoiriennes, financé par le Canada.microbes

D’après le sociologue Francis Akindès, qui a participé à ce projet, «la mort pour ces enfants est devenue un fait banal» : «Ces gamins opéraient hier avec des gourdins et des armes blanches. Aujourd’hui, ils le font avec des kalachnikovs. Tuer est un jeu pour eux». Et les «microbes», surnommés ainsi en référence au film La Cité de Dieu qui raconte l’ultra violence d’un quartier de Rio de Janeiro, seraient prêts à aller encore plus loin : «Ils considèrent leurs crimes comme une activité économique légitime. Ils nous ont confié qu’ils étaient prêts à s’engager aux côtés des djihadistes si ces derniers leur en faisaient la proposition», avertit Francis Akindès.

Lors de la crise post-électorale de 2010-2011, certains «microbes» avaient joué un rôle d’éclaireurs pour le «commando invisible» et contribué à la chute de l’ex-président Laurent Gbagbo en prenant le contrôle du nord d’Abidjan. On compte toujours dans leurs rangs des enfants des rues, d’anciens combattants et de jeunes délinquants qui se servent des armes non rendues après la crise. De quoi alimenter le ressentiment d’une partie des Abidjanais, qui soupçonnent des hauts dirigeants civils et militaires de couvrir leurs méfaits.

Lynchages

8134683-12691114Début janvier, le chef de l’Etat ivoirien Alassane Ouattara puis son ministre de la sécurité Hamed Bakayoko avaient invité l’opinion à ne plus qualifier ces jeunes de «microbes», mais simplement de «désœuvrés». Une requête qui ulcère Bakary Dramé, habitant du quartier Abobo-Plaque 1, théâtre de la dernière bataille entre la population et les gangs armés.

«Nos dirigeants ne prennent pas le mal à bras-le-corps. Il est donc normal que les populations se rendent justice», soutient-il.

Excédés, certains Ivoiriens ont décidé de rendre coup pour coup. Mardi 29 mars, face à une énième opération des «microbes» dans un quartier d’Abobo, elles sont parvenues à mettre la main sur le nouveau chef présumé de la bande. Surnommé Pythagore (Diaby Mamadou de son vrai nom) et âgé de 18 ans, cet élève en classe de seconde a été mis à mort à coups de machette. Selon la presse ivoirienne, sa poitrine a été ouverte jusqu’à l’abdomen.

 microbes abobo« Nous ne pouvons pas attendre que le gouvernement résolve le problème. Cela fait cinq ans que ce phénomène endeuille des familles et, au sommet, ils le savent tous. S’ils sont complices de ces “microbes”, tant pis. A notre niveau, nous allons faire le travail qu’il faut pour les éradiquer », insiste Bakary Dramé.

A la suite de représailles lancées par les lieutenants du défunt, quatre autres « microbes » auraient été lynchés par la foule. Une information, qui, si elle était confirmée de source officielle, porterait le nombre de « microbes » tués à neuf, entre début février et fin mars. Leur mise à mort rappelle surtout celle de leur précédent chef, Mamadou Traoré dit Zama, décapité le 14 avril 2015.4895303_7_3911_lors-d-un-raid-contre-des-vendeurs-de-drogue-a_45fba1fd9e72b5bb939c6f296be6d077

 Mais, selon Francis Akindès, cette répression ciblée ne fera en rien reculer le phénomène dans la mesure où les gangs sont rapidement reconstitués avec un autre leader pour poursuivre le mouvement. « Il faudrait plutôt que le gouvernement engage un dialogue social avec ces gamins en passant par des acteurs en qui ces jeunes gens ont une forte confiance », estime le sociologue.

lemonde.fr  A. A.

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