Abidjan : « Quelle configuration du poste de vice-président et du sénat dans le contexte ivoirien ? », julien Kouao

La tenue d’un atelier, les 22 et 23 septembre 2016  portant sur l’implication des organisations de la société civile ivoirienne dans la réforme constitutionnelle encours en Côte d’Ivoire a servi de cadre à l’écrivain, juriste analyste-politique, Geoffroy-Julien Kouao de traiter du Thème : ‘‘Quelle configuration du poste de vice président et du sénat dans le contexte ivoirien ?’’. Une intervention à l’invitation de la Coalition des défenseurs des droits de l’Homme en Côte d’Ivoire (CDDH-CI).

Le conférencier et auteur de  »Côte d’Ivoire: la troisième République est mal partie » a saisi la tribune  pour parcourir l’ouvrage devant un auditoire séduit qui n’a pas hésité à s’emparer de tous les exemplaires disponibles sur place. Signe d’un engouement autour de l’ouvrage, avant la grande dédicace de ce samedi 24 septembre.

Voici exclusivité son intervention.

 



‘‘Dans son traditionnel discours à la Nation, à la veille de la commémoration du 56e anniversaire de l’indépendance de la Côte d’Ivoire,  le chef de l’Etat, a annoncé,  le samedi  6 août, la création d’un poste de vice-président et d’un Sénat dans le cadre de la nouvelle Constitution.

ebatLa déclaration présidentielle a une double portée juridique et politique. Juridiquement, le chef de l’exécutif annonce l’avènement, plausible,  de la troisième république. Politiquement, le président de la république prévoit  une nouvelle configuration de l’exécutif et du parlement : Le monocéphalisme (suppression éventuelle de la primature) et  le bicaméralisme (l’instauration d’une deuxième chambre au parlement.)

A la réflexion, ces deux institutions  ne sont pas nouvelles dans l’ordre constitutionnel ivoirien. En effet, le poste de vice a été instauré par la loi  n° 80-1232 du 26 novembre 1980 portant révision de la constitution. Ce poste qui n’a jamais été pourvu dans la pratique est supprimé, cinq ans plus tard par la loi  n° 85-1072 du 12 octobre 1985.

Quant au sénat, il est crée par la loi n° 98-387 du 2 juillet 1998. Il restera une fiction institutionnelle avant sa suppression par la constitution du 1er aout 2000.

De ce qui précède, le vice président et le sénat sont donc deux institutions que la nouvelle constitution veut ressusciter.

A l’observation, le vice président et le sénat vont considérablement bouleverser la configuration du régime politique ivoirien avec un exécutif monocéphale  et un parlement bicaméral. Pour mieux apprécier les enjeux de la réforme annoncée, nous allons analyser successivement le poste de vice-président (I) et le Sénat (II)

julien-geoffroyI-Le vice-président

La vice-présidence est caractéristique du régime présidentiel. En effet, dans ce régime, l’exécutif est monocéphale  c’est-à-dire une seule tête en la personne du président de la république, chef de l’Etat et chef du gouvernement. Il a ses côtés, un vice président qui fait office de substitut en cas de besoin. C’est le cas aux Etats-Unis, au Ghana, au Brésil.

La Côte d’Ivoire, régime présidentiel, présente, formellement, un exécutif bicéphale avec un président de la république et un premier ministre. C’est cette anomalie constitutionnelle que le chef de l’Etat veut certainement corriger, encore faudrait-il définir le statut et les attributions du vice-président.

A-Le statut du vice-président

Le statut du vice président renvoie au mode de sa désignation (A) et caractère de son mandat (B)

1-le mode de désignation du vice-président

Généralement, le vice-président est élu. Aux Etats-Unis, par exemple, le président et le vice-président qui font équipe (on parle de ticket) sont élus au suffrage universel. Il en est de même au Nigéria. Parce que appelé à remplacer le président de la république, en cas de besoin,  le vice-president doit remplir les mêmes conditions d’éligibilité que lui.

En Cote d’ivoire, le vice-président sera-t-il élu ou nommé ? Les exigences démocratiques exigeraient qu’il soit élu sur un ticket avec le président de la république. Le président dans son message à la nation du 6 aout rassure « Le vice-président sera élu au suffrage universel direct en même temps que le Président de la République. Ainsi, en cas de vacance de pouvoir, il garantit la continuité de l’Etat d’une part et du respect du calendrier électoral d’autre part. Tout comme le Président de la République, le vice-président représentera le choix du peuple».

Le problème, c’est que la prochaine élection présidentielle est prévue pour le dernier trimestre de 2O2O, la réforme constitutionnelle, elle, est fixée au 30 octobre 2016. Dans cette présentation calendaire, le vice-président sera-t-il nommé « temporairement » par le président de la république sans heurter l’éthique démocratique et républicaine ? Quelle légitimité pour un  vice-président nommé ? Dans tous les cas son mode désignation conditionne  ses attributions ou pouvoirs.

julien-kouaoB-Les pouvoirs du vice-président

Traditionnellement,  le vice-président joue un rôle constitutionnel limité. Par exemple, La Constitution américaine octroie au vice-président des Etats-Unis la présidence du Sénat. Dans les faits, il s’agit surtout d’une fonction honorifique car il ne doit pas interagir sur les travaux de la chambre haute. En 1973, le second de Richard Nixon, Spiro Agnew, avait été accusé de faire du lobbying auprès des sénateurs, et avait dû démissionner. Le vice-président a en revanche le pouvoir de trancher, en cas d’égalité sur un vote, en apportant sa propre voix. Mais ce cas de figure ne se produit que rarement.

Le 25e amendement de la Constitution  dispose  également que le vice-président accède à la présidence en cas de mort ou de démission du dirigeant en fonction. Cela s’est notamment produit après les morts de Frank D. Roosevelt en 1945 (remplacé par Harry Truman) et John F.Kennedy en 1963 (Lyndon B. Johnson) où suite à la démission de Richard Nixon en 1974 (Gerald R. Ford).

Cela s’est notamment produit après les morts de Frank D. Roosevelt en 1945 (remplacé par Harry Truman) et John F.Kennedy en 1963 (Lyndon B. Johnson) où suite à la démission de Richard Nixon en 1974 (Gerald R. Ford).

Au Nigéria, en 2010, à la mort du président Umaru Yar’Adoua, le vice-president Goodluck Jonathan a occupé la fonction présidentielle. Au Ghana, le président John Atta Mills meurt en 2012. Son vice-président John Dramani Mahama accède au pouvoir.

Si la tradition républicaine est respectée, en côte d’ivoire, avec  l’instauration d’un poste de  vice –président, le président de l’Assemblée nationale n’est plus le dauphin constitutionnel. En effet, en cas de vacance par décès, démission ou empêchement absolu, c’est le vice-président qui devient de droit le nouveau président.

Une question. Qu’adviendra t-il du premier ministre dans la nouvelle constitution ? Le président de la république dans ses déclarations sur la réforme constitutionnelle n’en fait pas cas. La primature sera-t-elle supprimée ? A la réflexion oui. A défaut nous auront un tricéphalisme juridiquement monstrueux et politiquement inefficace. La guinée équatoriale est l’un des rares Etat à usiter  un exécutif à trois tête. Un président de la république  Théodoro Obiang N’Guema Basongo, un vice-président, son fils Teodoro Nguema Obiang Mangu, et un premier ministre Vicente Ehate Tomi.

La réforme constitutionnelle  annoncée concerne également le parlement avec l’instauration du Sénat.

cddhiII-Le Sénat

La création du sénat à côté et aux côtés de l’Assemblée nationale donnera un caractère bicaméral au parlement ivoirien.

Dans Le bicamérisme moderne, la seconde assemblée étant dans de nombreux pays le lieu de la représentation territoriale (Allemagne, Belgique, Espagne, États-Unis, Nigéria etc.), en particulier dans les États fédéraux, où il représente une nécessité pour assurer la représentation des États fédérés à côté de celle de la population. Par exemple au Nigéria, Le Sénat est composé de 109 membres élus au scrutin direct, comme suit: 3 sénateurs pour chaque État de la Fédération (chacun comporte 3 circonscriptions), 1 sénateur pour la capitale fédérale, Abuja.

C’est un choix similaire qui a été fait par la France. La Constitution de la Vème République institue ainsi un bicamérisme dans lequel coexistent une Assemblée nationale, élue au suffrage universel direct et représentant les citoyens, et un Sénat élu au suffrage universel indirect représentant les collectivités territoriales de la République et les français vivants à l’étranger. C’est pourquoi marcel Prelot opinait « lune reflète la démographie, l’autre traduit la géographie » La côte d’ivoire sera-elle dans une telle logique ? A l’évidence non. Du moins, si on s’en tient à la composition du sénat (A) telle que par le chef de l’Etat annoncée. Cette composition déterminera ses attributions (B)

A-la composition du Sénat

Au sujet de la réforme visant à la création d’un Sénat, le président de la république, dans son discours du 6 aout 2016 affirmait : Après 56 ans d’existence, notre pays regorge d’une classe importante d’anciens serviteurs de l’Etat, de personnalités de qualité, dont l’expérience peut apporter une grande contribution au processus législatif.”

julien-geoffroyA l’observation, le sénat sera une assemblée de gérontes. Il ne sera pas comme le sénat  Français composé de représentants des collectivités territoriales. Cependant, il existe une ambiguïté dans le discours de l’exécutif «  L’instauration d’un Parlement bicaméral qui comprendrait une Assemblée nationale et un Sénat dont 2/3 des membres seraient élus au suffrage universel direct, et 1/3 nommé par le président de la République »

Le mode de désignation combine l’élection et la nomination. Les sénateurs élus (la légitimité) et les sénateurs nommés (la légalité) auront-ils les mêmes pouvoirs ? Les uns parce que légitimes auront-ils une voix délibérative et les autres parce que nommés, une voit consultative ?

Pour une meilleure visibilité de la composition du sénat il serait idoine que les sénateurs soient les représentants des régions, donc, élus par eux. Le sénat doit être une assemblée de proximité. Par exemple 2 sénateurs par région et 2 pour le district d’Abidjan et 1 pour celui de Yamoussoukro. 65 au total.

ebatB-les attributions du sénat.

Le discours du president de la république donne les couleurs «  la création du sénat va conférer au parlement ivoirien un caractère bicaméral, mais garantissant la primauté de l’Assemblée nationale ».

De ce qui précède le sénat n’aura pas le même statut encore moins les mêmes prérogatives que l’Assemblée nationale. Le Sénat sera une assemblée secondaire. Ce qui tranche avec  le sénat des Etats-Unis. Le rôle du Sénat des États-Unis est principalement de voter les lois fédérales. La constitution américaine dispose que l’approbation des deux chambres est nécessaire pour qu’une loi soit ratifiée.

Dans une certaine mesure, le Sénat conseille également le gouvernement. Il exerce aussi un certain nombre de pouvoirs exclusifs, qui sont les suivants : donne son accord aux nominations faites par le président des États-Unis pour les postes de : membres du Cabinet présidentiel, les Secrétaires (équivalent de ministres) ;juges fédéraux, notamment ceux de la Cour suprême des États-Unis ; ambassadeurs et certains hauts fonctionnaires fédéraux ; autorise à la majorité des deux tiers (ce qui représente 67 sénateurs sur 100) la ratification des traités par le président ; vote l’impeachment à la majorité des deux tiers à l’encontre d’un membre de l’exécutif (dont le président ou vice-président des États-Unis) ou d’un juge, sur mise en accusation faite par la Chambre des représentants.

Les pouvoirs exclusifs conférés au Sénat sont considérés comme plus importants que ceux de la Chambre de représentants. Ses responsabilités sont donc plus étendues que celles de la Chambre des représentants. Le président des États-Unis ne peut ratifier des traités ou faire des choix importants sans l’avis et le consentement du Sénat.

Dans l’espèce ivoirienne, il serait avantageux, pour la bonne gouvernance, que la nomination des membres du gouvernement et des institutions ; celle des hauts fonctionnaires de l’Etat soit confirmée par les députés et les sénateurs.

Conclusion

kouEst-il opportun aujourd’hui, de redéfinir l’organisation de l’exécutif et du  parlement ivoirien ? La réponse est malaisée. D’abord, juridiquement, si la création du poste de vice président réconcilie la côte d’ivoire avec le régime présidentiel, celle d’un sénat serait pertinente dans le cadre d’un Etat fédéral. Ensuite, politiquement, le vice-président n’est-elle pas surabondante si la primature n’est pas supprimée ? Enfin, économiquement, ces nouvelles institutions ne sont-elles pas budgétivores dans un Etat où tout, au niveau social,  reste  prioritaire ?

Geoffroy-julien Kouao

Juriste et Analyste Politique

Enseignant de droit constitutionnel

Auteur de «Cote d’Ivoire : la troisième république est mal partie»

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