Abidjan-Interview exclusive-Julien KOUAO (juriste-écrivain): «Le référendum, le NON peut l’emporter ! C’est  une maladresse de l’opposition d’appeler au boycott»

 Réalisée par Hervé Makré

Personnalité publique en Côte Ivoire Geoffroy-Julien Kouao Juriste-constitutionnaliste, analyste-politique et écrivain, il est l’intellectuel qui, avec son œuvre: «Côte d’Ivoire, la troisième république est  mal partie» défraie  la chronique».  Ses contributions et analyses sur  la réforme constitutionnelle alimentent énormément les débats en Côte d’Ivoire. A quelques heures de la tenue du référendum, du 30 octobre 2016, dont la campagne a été lancée, samedi dernier au stade Félix Houphouët-Boigny par le binôme  présidentiel, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié, le constitutionnaliste écrivain Geoffroy-Julien Kouao y va encore fort dans son refus de soutenir la réforme en cours. Entretien avec ledebativoirien.net, suivez !

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Ledebativoirien.net: Geoffroy-Julien KOUAO, vous avez annoncez sur votre page facebook que le 30 octobre 2016 vous voterez NON. Pourquoi ?

Pour deux raisons : juridique et politique. Sur le plan juridique, il ne s’agit pas de l’adoption d’une nouvelle mais d’une révision constitutionnelle. Prenez l’actuelle constitution et lisez bien l’article 126, c’est la procédure décrite par cet article qui a été utilisée. Politiquement, cette entreprise constitutionnelle s’est faite en dehors du peuple. En fait, il s’agit pour l’auteur du projet constitutionnel  de faire triompher sa vision politique. Ce qui me paraît, démocratiquement, impolitique.

Julien Kouao à propos du référendum
Julien Kouao à propos du référendum

Geoffroy-Julien KOUAO:Vous avez  aussi annoncez la victoire du non, vous ne rêvez pas ?

Non, je ne rêve pas. Les ivoiriens ne se sentent pas concernés par le projet de constitution de  l’exécutif. Vous avez vu l’échec du meeting  des partisans du oui au stade Houphouët-Boigny, malgré la présence de MM. Ouattara et Bédié. A l’observation, le projet est impopulaire et vous savez que j’ai prononcé une vingtaine de conférences à travers le pays  sur le sujet, et le retour des ivoiriens me conforte dans ma position. Le problème, c’est la maladresse  affichée par une partie de l’opposition qui appelle les ivoiriens à ne pas se rendre aux urnes.

Justement, l’opposition appelle au boycott, le pouvoir appelle à voter oui, vous, vous appelez à voter non. Vous ne craignez  pas de vous attirer la colère du pouvoir et de l’opposition ?

Je suis un citoyen libre. En sus, toute modestie mise à part, je suis constitutionnaliste, donc, objectivement j’ai une meilleure lecture du projet constitutionnel que les politiques. Ceux-ci et moi n’avons pas les mêmes agendas et les mêmes objectifs. Je respecte la position des partisans du oui, mais ils ont tort.

Ce projet de constitution est un non viable, il structure, maladroitement, l’organisation et le fonctionnement des institutions. Je respect, également, les partisans du boycott, mais ils ont également tort ; l’abstention n’a pas de valeur juridique dans notre droit positif, et puis depuis 1995, le boycott des élections a apporté quoi à la Côte d’Ivoire ? La démocratie c’est le combat des idées, c’est le triomphe de la pensée.

Mais ne craignez-vous pas d’être marginalisé ?

kouaoMais par qui ? Depuis janvier 2016, je suis sur le front de la pensée, de la réflexion, de l’analyse et de l’action. Ce sont les  instruments, les meilleurs, de l’engagement citoyen dans une république. Je ne m’engage pas dans la polémique, mais dans le discours rationnel, en utilisant mes facultés de raisons.  Et un intellectuel n’agit pas pour faire plaisir à quelqu’un, il agit selon sa science et sa conscience. C’est pourquoi, même quand il se trompe, il se trompe de bonne foi.

Et   si malgré votre optimisme, le 30 octobre prochain, le OUI l’emporte, que feriez-vous ?

Je respecterai le verdict des urnes et je reprendrai mon combat intellectuel. J’ai compris la nécessité de vulgariser le droit et la science politique. Je vais mettre en place un programme d’initiation au vocabulaire politique et juridique. Je crois à la force des idées, de la pensée. Je veux que la pensée remplace l’émotion dans l’action politique en côte d’ivoire.

Le problème de la Côte d’Ivoire c’est la démission des intellectuels. Nous sommes en train d’assister à la défaite de la pensée. Regardez le silence cadavérique des intellectuels face au projet constitutionnel. Hormis Faustin Kouamé et de façon épisodique Wodié et Bléou, avez-vous lu, entendu, vu les autres ? Où sont donc ces juristes, ces sociologues, ethnologues, économistes, philosophes, poètes et écrivains etc ? Mais si la question de la constitution ne peut pas vous intéresser, qu’est ce qui peut vous intéresser alors ? L’intellectuel meurt en tous ceux qui se terrent devant les problèmes de leur temps.  En Côte d’ivoire, on est intellectuel dans nos bureaux et salons. Et c’est dommage.

L’autre problème, c’est la classe politique. Elle a une posture incohérente.

julien kouaoC’est-à-dire ?

Les hommes politiques ivoiriens ne sont démocrates que lorsqu’ils sont dans l’opposition. Une fois au pouvoir, ils deviennent allergiques aux valeurs démocratiques et républicaines. Je vous donne  des exemples. En 1990, quand le président Houphouët-Boigny à imposé une caution de vingt millions à l’élection présidentielle, ce qui remet en cause le suffrage universel,  l’opposition a crié au scandale ; le cumul des mandats a été décrié par tous les opposants, tout comme le monopole de la RTI, malgré  les alternances survenues, rien n’a changé.

Prenez l’actualité, la question de la facture de la CIE, vous avez entendu des partis politiques ? Ce sont les internautes qui ont mené les revendications. Dernièrement, l’effondrement du pont de Dimbokro, avez-vous vu des formations politiques demander des comptes au gouvernement. Ce qui intéresse  la classe politique ce sont les élections c’est-à-dire comment accéder au pouvoir pour goûter aux privilèges qui s’y rattachent.  C’est tout.

Que faut-il faire  donc, parce que à vous écouter il n’ya pas de perspective heureuse pour notre pays.

Il faut, d’abord, l’émergence d’une classe intellectuelle dont le rôle consistera à produire des supports de réflexion sur l’organisation de notre société étatique, de notre positionnement dans la sous région et de notre apport à l’humanité. Ensuite, il faut l’éclosion d’une nouvelle société civile indépendante qui n’a pas  besoin de recevoir sa feuille de route et d’action du  pouvoir ou de  l’opposition.

julien-kouaoEnfin, il nous faut une nouvelle classe politique d’ici 2025 par des voies démocratiques. Quand je parle de nouvelle classe politique, je ne parle pas d’âge, c’est-à-dire de jeunes, parce que je pense que tous ceux qui sont là actuellement, jeunes comme vieux au pouvoir ou dans l’opposition sont disqualifiés par les contingences historiques.

J’invite tous ceux qui ont une âme d’intellectuel à me rejoindre pour que nous mettions en place, par des réflexions, des analyses, des écrits, par des actions citoyennes, le renouveau intellectuel ivoirien. Attention, quand je parle d’intellectuel, je ne parle pas de diplômés. Nuance.

Dernière question. Comment se comporte sur la marché,  votre livre : «Côte d’ivoire : la troisième république est mal partie»?

kouaoTrès bien. Les Ivoiriens aiment  la lecture politique. Et chaque jour je procède à des dédicaces. Je suis en train d’écrire un nouveau livre qui va sortir en janvier.

Peut-on anticiper sur le titre ?

«LA CPI : Juridiction ou juge politique ? »

Et quelle est la réponse ?

Attendez que livre sorte d’abord !

 Réalisée par Hervé Makré

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