Législatives–Tiémoko Doumbia sans détours: «Je suis indépendant à Cocody parce que nous sommes fatigués des partis politiques»

Interview-

Il veut être le Donald Trump de cette élection en créant la surprise au soir du 18 décembre parmi les huit listes en compétition. Pr. Tiémoko Doumbia, le sociologue qui depuis des années prépare ce rendez-vous avec de nombreuses rencontres et dons à des associations de jeunes et de femmes, parle dans cet entretien de ses motivations et de ses chances à Cocody. Le challenger de Yasmina Ouégnin ne manque pas d’envoyer quelques flèches à celle-ci

 

Professeur, vous êtes fondateur d’école, enseignant à l’université, homme d’affaires. Qu’est-ce qui vous amène à briguer le poste de député de Cocody ?

Je suis fils de Cocody. J’ai grandi ici et contrairement à bien d’autres personnes, j’ai fait toutes mes études à Cocody. Je me sens donc proche des habitants de Cocody que j’ai vu grandir depuis les années 80 jusqu’à ce jour. Maintenant j’ai constaté que Cocody vit une certaine léthargie à la fois sur les planséconomique, social et politique. J’ai observé ces dix dernières années que des gens sont élus à Cocody, mais on ne les voit jamais, on ne les connait pas.TIEMOKO DOUMBIA 5


Ils disparaissent pour ne réapparaitre qu’à la prochaine élection. Pendant ce temps, de grands problèmes de société existent et les populations ont besoin qu’on puisse en parler à l’Assemblée nationale. Pourquoi veut-on qu’on se limite seulement à des projets de loi alors que le député a aussi l’initiative de la loi ? Nous constatons une grande faillite à ce niveau. Et nous pensons que dans le contexte post-crise qui est celui de la Côte d’Ivoire, où les populations sont désorientées, ce sont les élus et les intellectuels qui doivent venir à leur rescousse pour leur faire comprendre les enjeux de l’avenir.

Malheureusement, les jeunes sont délaissés, les femmes délaissées et moi qui milite dans des associations, j’ai estimé que le moment était venu pour qu’on arrête cette façon de faire. Voilà ce qui m’amène à briguer le poste de député.

Et pourquoialler en indépendant dans une commune qui a voté depuis 1990 pour des partis politiques ?

Je suis confiant parce que Cocody est différente des autres circonscriptions. Cocody c’est d’abord un quartier d’élites, un quartier d’intellectuels, un quartier d’universitaires. Ces intellectuels et lettrés n’ont pas de position fixe. Les mutations s’opèrent ici en fonction des réalités. Et le contexte actuel indique que, tout comme moi, les populations de Cocody sont fatiguées des partis politiques.

Les partis politiques ne nous ont pas laissés une bonne impression ces dix dernières années alors que nous avons besoin d’avancer. Les populations veulent aujourd’hui des hommes attentionnés qui se préoccupent de leurs problèmes. Des gens qu’elles peuvent voir, toucher et avec lesquels elles peuvent prendre la route du développement. Les partis politiques ne remplissent pas cette mission aujourd’hui. Ils sont plutôt d’accord sur leur désaccord et je suis sûr que les populations de Cocody feront le bon choix.

Avez-vous confiance en la CEI, l’organe en charge de l’organisation du scrutin ?

tiemokkA priori, moi j’ai confiance en tout le monde jusqu’à ce que nous atteignions le seuil de la déception. Mon directeur de campagne sort d’une réunion de civilités et d’échange avec les responsables de la CEI. Il a attiré leur attention sur les rumeurs de fraude qui sont en train de se préparer.

Mais je vais vous assurer que moi, je travaille avec les jeunes et les femmes. Et ils n’accepteront jamais qu’on nous vole notre victoire. Et nous prenons nos dispositions parce que nous entendons dire qu’ils sont en train de distribuer les cartes d’électeurs de tous ceux qui n’ont pas pris part aux récents scrutins pour acheter des consciences. Dans tous les quartiers les populations se connaissent entre elles et celui qui va tenter de jouer à ce jeu, c’est à ses risques et périls.

Nos électeurs sont déjà mobilisés pour empêcher toute tentative de fraude. Donc ceux qui veulent le faire, qu’ils réfléchissent par trois fois parce qu’on n’acceptera jamais qu’on nous vole notre victoire. En 2000, ils ont tenté de voler et sur un seul appel, tous les jeunes ici à Cocody étaient dans les rues pour empêcher cette tentative. Personne ne pouvait imaginer cela auparavant. Nous, nous sommes indépendants, nous sommes le produit des populations et ceux qui vont tenter cela en auront pour leur compte.

Croyez-vous en vos chances face à vos adversaires qui sont de gros calibres en particulier, le Fpi, le Rhdp et surtout la députée sortante Yasmina Ouégnin qui a la faveur des pronostics au regard des actions qu’elle a posées au cours de son mandat ?

Je ne suis pas dans la mystification pour dire que j’ai des atouts par rapport à d’autres candidats. Ce que je sais, c’est que je suis indépendant des partis politiques. Ce que je sais, c’est que j’ai développé une proximité avec les populations et celles-ci ne sont pas dupes. Il ne sert à rien d’élire une personne qui va disparaître puis réapparaître à la prochaine élection. Je sais que depuis longtemps, je suis avec les jeunes et les femmes et ils sauront me reconnaître cela le 18 décembre.

Vous faites campagne sur le slogan du développement participatif. Qu’entendez-vous par cette notion ?

Je pense que par rapport à mon expérience professionnelle, à l’encadrement que j’apporte à des étudiants, on peut organiser nos populations pour créer une certaine prise de conscience. On peut aussi mener avec elles, des réflexions sur un type de développement solidaire.

Quel idéal voulez-vous incarner si vous êtes élu ?

Mon axe prioritaire, c’est la consultation des populations. Il faut les consulter, il faut identifier les problèmes et sur cette base, aller combattre à l’Assemblée nationale. Sinon si j’impose mes idées qui ne sont pas forcément celles des populations, je n’aurai pas rendu service.

Cocody est considérée dans l’imaginaire populaire comme une commune trop privilégiée, celle où résident les décideurs, en particulier le chef de l’Etat. Y-a-t-il encore quelque chose à faire ici ?

Cocody5035 0Je connais bien la Côte d’Ivoire pour avoir fait deux doctorats sur le développement de la Côte d’Ivoire. Je sais donc de quoi je parle quand je parle de développement. Je suis l’un des ardents bâtisseurs du « Document de stratégie de réduction de la pauvreté » (Dsrp). J’ai participé à sa confection et à la restitution. Je suis donc au fait de la problématique du développement.

Cocody peut se diviser en trois catégories de résidents. Il y a les « très riches, les opulents » – il y a les « hauts cadres qui se suffisent », ils ne sont pas très riches mais ils vivent aisément et puis il y a les « gens en difficulté ». Alors dire que tout est fait à Cocody, n’est pas exact. Parce que le cadre qui se suffit a besoin d’améliorer sa situation, d’investir pour maintenir sa situation, le plus riche a besoin d’un environnement de sécurité, les gens en difficulté ont besoin qu’on leur vienne en aide pour arriver au moins à se suffire.

Peut-on donc dire que tout est fait à Cocody ? D’ailleurs, partout on n’a jamais fini le développement ou l’amélioration des conditions de vie. L’aisance économique et financière ne suffit pas à elle seule.

Pour ces législatives, 1337 candidats sont en lice. Parmi eux, plus de 600 candidats indépendants. Que vous inspire cette forte présence de candidatures indépendantes ?

Cela est à l’image de la Côte d’Ivoire d’aujourd’hui. Il y a une forte crise de la cohésion sociale. Le capital social est quasiment rompu. Je pense que cela doit interpeller nos dirigeants. Cela doit aussi interpeller l’élite. Il faut que l’élite arrête de mentir à celui qui dirige. Parce que vous pouvez être un dirigeant de très bonne fois mais induit en erreur par ceux qui sont autour de vous. Parce qu’un président de la République ne peut pas se lever tous les matins pour aller connaître les réalités de Cocody, les réalités de Mankono et les réalités de Saïoua !Il y a problème et il faut qu’on l’intègre. Aucune société ne s’est développée sans cohésion sociale.

Parce que vous pensez que cette cohésion fait encore défaut?

pr tiemokoJe n’ai pas besoin de vous le dire. Allez dans les maisons, allez-y dans les marchés et posez la question aux gens. Vous battez campagne et ils vous disent, ‘’nous on ne peut pas aller voter parce qu’au bout, il y a la guerre’’. Ils vous disent :’’la politique, ça conduit à la mort. Nous, on ne veut pas faire de politique pour ne pas mourir !’’

Justement, on entend cela partout mais que répondez-vous à ceux tiennent ce discours ?

On leur dit qu’à un moment donné on n’a pas besoin de milliers de personnes pour faire le déclic au sein d’une nation. Il faut que des gens aient le courage de se lever et ensemble, nous allons motiver nos concitoyens à utiliser de nouveaux paradigmes quant à la gestion de la société. Il faut que les populations se réveillent. Moi partout où je passe, je leur dis qu’elles peuvent me faire confiance pour qu’ensemble on puisse porter le combat du bien-être des populations. En tout cas, je m’engage à être à leur côté pour les quatre années à venir.

Avec S.D. à Abidjan

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