Le débat autour du nouveau sénat on encore en onction continue. un éclairage avec le juriste politiste et écrivain Geoffroy-Julien Kouao.
La Côte d’Ivoire a voté ses premiers sénateurs le samedi 24 mars 2018. Est-ce la marche vers un Etat moderne ?
La présence d’un sénat n’est pas un critère de l’Etat moderne. Un Etat comme Israël n’a pas de sénat, cependant les constitutionnalistes s’accordent pour dire que c’est un Etat moderne qui s’entend ici comme un Etat qui fonctionne selon les valeurs démocratiques. Nous verrons la pertinence ou non de la présence du sénat dans la pratique politique ivoirienne. Va-t-il jouer son rôle de contre-pouvoir ou servir de caisse de résonnance à l’exécutif?
En tant que juriste, le contexte était-il favorable pour la tenue des élections ?
La réponse est malaisée. Si nous tenons compte de l’agenda parlementaire tel que déroulé par la constitution, la rentrée parlementaire est prévue pour la première semaine du mois d’avril. De ce qui précède, l’élection des sénateurs ne pouvait se tenir qu’avant cette période. Cependant, du strict point de vue de la légitimité, il aurait été heureux que les élections municipales et régionales précèdent celle des sénatoriales, en ce sens que les conseillers régionaux et municipaux qui ont élus les sénateurs le 24 mars dernier verront leur mandat expiré dans quelques mois.
Avec le Sénat, on aura deux chambres. Expliquez-nous leur fonctionnement ?
Nous avons un bicamérisme imparfait, c’est-à-dire qu’on assiste à une prépondérance de l’Assemblée nationale sur le Sénat. Pour preuve, le congrès, c’est-à-dire l’assemblée regroupant les deux chambres est présidée par le président de l’Assemblée nationale. En sus, la déclaration de guerre est autorisée par le parlement. En cas de désaccord entre les deux chambres, la décision finale appartient à l’Assemblée nationale. Il en va de même de la prolongation de l’Etat de siège. Enfin, le projet de loi de finances, c’est-à-dire le projet de loi qui fixe le budget de l’Etat est d’abord déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale avant d’arriver au sénat. Une remarque majeure, les deux chambres se réunissent, chaque année, en une session unique.
Les attributions du Sénat ne vont-elles pas mettre à mal le fonctionnement des présidents des conseils régionaux ?
En principe non. Ce sont deux organes qui ont des domaines de compétence différents. Les sénateurs sont des législateurs, leur rôle est de voter les lois. Quant aux conseillers régionaux, ce sont des autorités décentralisées, des acteurs de développement local qui ont pour rôle de faire appliquer les lois dans leurs régions. On peut même parler de complémentarité d’où l’absence d’incompatibilité entre les deux fonctions.
Quels sont les avantages de la présence du Sénat pour les Ivoiriens, quand on sait que le Sénat a renoncé ?
Théoriquement, le bicaméralisme participe à l’amélioration de la procédure législative. Les projets et propositions de loi sont examinés doublement par deux différents organes. En sus, certains sénateurs ne sont pas des hommes politiques, mais des techniciens qui pourront apporter un regard technique pertinent sur certains dossiers. Dans la pratique, tout va dépendre de la posture du sénat. Sera-t-il un contrepouvoir ou un organe à la solde de l’exécutif ?
En termes d’image, que gagne la Côte d’Ivoire ?
Avec l’installation du sénat, la Côte d’Ivoire se donne l’image d’un Etat soucieux d’appliquer la constitution qu’elle s’est elle-même dotée. C’est un pas vers le renforcement de l’Etat de droit. Il reste à mettre en place la haute Cour de justice, organe chargé de juger le président de la république et les membres du gouvernement, juste après la rentrée parlementaire.
Est-ce qu’il incompatibilité le poste de député, de ministre, de maire et celui de sénateurs ?
L’incompatibilité est une impossibilité juridique d’exercer deux fonctions, deux professions en même temps. Selon l’ordonnance du 14 février 2018 relative au sénat, il y a incompatibilité entre les fonctions de député et de sénateur. Une personne ne peut être à la fois député et sénateur. Mais entendons-nous bien, un député peut être candidat à l’élection de sénateur. S’il est élu, il choisit l’un des deux mandats. Par ailleurs, il y a compatibilité entre les fonctions ministérielles et de conseillers municipaux. Un sénateur peut être ministre mais il ne peut être membre d’un cabinet ministériel. Nuance. Le sénateur peut être maire ou président de conseil régional.
Le Président Ouattara va nommer le 1/3. Qui, selon vous, devrait faire partie de cette nomination ?
La constitution a déjà défini les critères objectifs. Le nommant, en l’espèce, le Président de la république a une compétence liée. Les nommés sont des personnalités ivoiriennes connues pour leur expertise dans le domaine politique, administratif, économique, social, sportif, scientifique, professionnel et culturel.
Quel est votre commentaire sur la percée de certaines listes indépendantes ?
La percée des indépendants montre bien que la maison RHDP est lézardée. Le casting des états-majors est, parfois sinon souvent, en désaccord avec la réalité du terrain. Malheureusement, ces indépendants rejoindront, comme après les législatives, la maison mère, le RHDP, ce qui donnera un aspect monocolore à la chambre haute.
Quelle est la particularité du Sénat ivoirien ?
Je remarque que le sénat représente les collectivités locales et les ivoiriens résidents à l’étranger, mais ceux-ci n’ont pas élu de représentants, ils n’ont pas participé au vote. En sus, il aurait été juste que le constituant ivoirien ajoute que les sénateurs représentent aussi le Président de la république pour justifier la nomination des 1/3 par lui. Le sénat est le propre des Etats fédéraux et des monarchies constitutionnelles par principe. La Côte d’ivoire est un Etat unitaire et une République, de ce qui précède le sénat est une institution surabondante.
Aux Etats-Unis et en France, le Sénat est la chambre haute. Pourquoi c’est le contraire en côte d’ivoire ?
En Côte d’ivoire également le sénat est la chambre haute, l’Assemblée nationale, la chambre basse. En fait, ces dénominations ont été empruntées à la Grande-Bretagne où la chambre des communes représente le peuple (les gens d’en bas). Quant à la chambre des lords (seigneurs), elle représente la couronne, le monarque (les gens d’en haut). Les appellations sont restées identiques dans les républiques même si elles ne signifient pas la même chose.
Par ledebativoirien.net
H.MAKRE
© 2018, redaction. All rights reserved.
Sauf autorisation de la rédaction ou partenariat pré-établi, la reprise des articles de www.ledebativoirien.net, même partielle, est strictement interdite. Tout contrevenant s’expose à des poursuites.
