Il est récurent d’entendre tout le monde dire « les enfants de maintenant ne connaissent rien, ils n’ont aucune culture et sont très mal éduqués ». Le constat est vrai, donc indiscutable. Ce qui l’est moins, par contre, c’est l’analyse des causes de cette désespérante situation. Pourquoi nos enfants sont-ils si nuls et accrocs à la délinquance sous toutes ses formes ? Ces questions méritent elles-mêmes d’être questionnées. Les enfants, d’aujourd’hui, sont-ils tombés du ciel ? Vivent-ils en dehors de la société ? Ne sont-ils pas les conséquences de nos inconséquences ?
Quand l’école abrutit nos enfants
L’école est le lieu d’apprentissage et de formation, par excellence. Mais alors pourquoi, avec un taux de scolarisation élevé, les enfants sont accusés de cancres ? Tout simplement, parce que nos enfants sont le résultat, le produit de notre système scolaire malade d’un dysfonctionnement chronique voire structurel. Quelques exemples. Selon les normes internationales, il faut au plus 40 élèves dans une classe au primaire et au secondaire. C’est une lapalissade, des effectifs moindres permettent une ambiance de travail plus sereine et un suivi plus personnalisé des élèves, l’enseignant ayant plus de temps à consacrer à chacun. Dans les pays développés de l’organisation de coopération et de développement économiques (l’OCDE), l’effectif par classe est de 26 élèves. Evidemment, comparaison n’est pas raison, mais toute raison sans comparaison n’est qu’émotion. Chez nous, combien d’élèves avons-nous par classe ? Voici, la question inaugurale. Quel résultat scolaire voulez-vous objectivement obtenir avec des effectifs de 100 élèves, en moyenne, par classe ? Lequel des parents et adultes est allé à l’école dans un tel environnement ? Dans les années 70 et 80, la moyenne était de 30 élèves par classe.
Le niveau des élèves était satisfaisant. Dans l’enseignement supérieur, la situation est catastrophique. Allez dans une université publique, à Bouaké, Korhogo, Daloa ou Abidjan. Partout, les amphithéâtres sont comparables à des « boites de sardines ». Par ailleurs, le recrutement des enseignants, surtout au primaire contribue considérablement à la formation au rabais des apprenants. Nous savons tous que le B E P C n’a plus la même valeur qu’il avait il y a trente ans, en termes de niveau, de contenu de la formation. De nos jours, Il est récurrent de voir des instituteurs en conflit avec la grammaire et l’orthographe françaises. Nul ne peut agir au-delà de ses connaissances. Si les enseignants eux-mêmes ont des problèmes, des lacunes, pourquoi accuser alors les apprenants ? De ce qui précède, que faire pour sauver les élèves de ce naufrage intellectuel ? Des tentatives de solutions existent et sont connues. Il faut construire davantage d’infrastructures scolaires et recruter de plus en plus d’enseignants pour améliorer le ratio enseignants-élèves. L’école doit être la priorité des priorités. S’il faut faire des coupes budgétaires dans d’autres secteurs, le gouvernement doit le faire. Le problème ne touche pas seulement que l’école publique, le privé est aussi concerné. Les élèves des écoles privées ne sont pas mieux lotis, ils n’ont pas un niveau supérieur à ceux du public. Non pas du tout.
Les effectifs pléthoriques sont constatés dans certains établissements privés. Mais dans le secteur privé, la problématique est plutôt relative à la formation des enseignants. Le recrutement se fait souvent sur présentation du diplôme, sur titre. C’est bien, mais, le diplôme ne fait pas toujours la compétence. De ce qui précède, dans le privé, très souvent, les enseignants n’ont pas la pédagogie. Pourquoi l’Etat ne fournirait-il pas des enseignants aux écoles privées ? Par exemple, au lieu de recruter 2000 enseignants par an pour la formation au Cafop, pourquoi ne pas recruter le double ? A la fin de la formation, la moitié ira dans le privé avec un diplôme d’Etat. Dans ce cas, une reforme d’harmonisation des salaires du privé et du public s’impose. L’Etat peut le faire, c’est une question de volonté politique. Il faut agir vite, à défaut, il se posera, d’ici une décennie, un problème de ressource humaine qualifié et de qualité. Les dysfonctionnements récurrents de nos services publics sont symptomatiques d’un personnel peu qualifié, insuffisamment formé. Les choses risquent d’aller de mal en pis dans les années à venir.
Des enfants non cultivés
Autre reproche fait aux enfants et aux jeunes, leur manque de culture et le désintérêt qu’ils ont pour les livres. Ici aussi, le constat est juste. Les enfants ne lisent plus, ils ont d’autres passions : le sport et la musique. La sur-médiatisation de ces deux activités humaines y ait pour beaucoup. Les enfants et les jeunes sont très pragmatiques. Les modèles de réussites de la société sont moins les têtes bien faites que les jambes habiles et les poches bien pleines. Les supports de communication ne font que l’éloge de la société de consommation où seuls ceux qui ont l’argent comptent. Qui sont ceux que les gens respectent dans nos sociétés contemporaines? Quelles sont les personnes choisies pour parrainer les manifestations de quartier ou de village ? Qui sont les modèles des enfants et des jeunes ? Tout simplement ceux qui ont de l’argent. C’est simple, aujourd’hui la réussite sociale, c’est avoir de l’argent.
On comprend alors cette admiration excessive pour les vedettes du sport, surtout du football. Quel enfant ne rêve pas de devenir un futur Drogba ou un Yaya Touré, et il a raison car, non seulement ces messieurs ont du talent mais surtout ils ont le « Djê » (l’argent). Autres personnages admirés, les hommes et femmes politiques. Sous nos tropiques, la politique est le chemin le plus certain pour devenir riche et célèbre. Le train de vie de nos hommes et femmes politiques suscitent des vocations chez les enfants et jeunes. Dans toute cette galaxie de modèles, où sont les intellectuels ? Les professionnels du savoir et de la connaissance ? Sont révolus, les temps où on voyait, endentait, lisait tous les jours, les Jean Marie Adiaffi, Niangoran Porquet, Niangoran Bouah et Zadi Zaourou, pour ne citer que ceux-là, à la télévision à la radio, dans les journaux étaler leur savoir, parfois sinon souvent dans des débats contradictoires d’une rare érudition où la connaissance et l’éloquence se coutoyaient sans jamais se confondre. Les concepteurs du Bossonnisme, de la Drummologie, du Didiga et de la Griotique étaient des vedettes, des personnages publics, parce que la presse leur donnait de la visibilité, ce qui les rendaient crédibles et audibles. Et pourtant, sinon leurs œuvres du moins eux-mêmes étaient opposés au système politique ivoirien et à celui qui l’incarnait. Aujourd’hui, citer un seul intellectuel que les enfants et les jeunes connaissent à part ceux qu’ils lisent en classe.
Combien d’émissions de culture livresque avons-nous dans nos programmes de radios, de télévisions ? Combien d’intellectuels font la une des journaux privés ou de service public ? Et pourtant, ils sont là les intellectuels ivoiriens, rendez-vous dans une librairie et vous verrez l’ampleur de leur production, la fécondité de leur imagination et l’habilité de leur plume. Les médias ne jouent pas leur rôle. Le jour où ils mettront sur le même pied d’égalité, en termes de visibilité, les vedettes du sport, de la musique, les hommes et femmes politiques et les intellectuels, les lignes bougeront. Nos enfants n’ont pour modèles que ceux qu’ils voient et ceux qu’ils lisent. Demandez-leur la composition de l’équipe de football de Barcelone, ils vous le diront, filles comme garçon, sans difficulté. Mais, demandez leur quel est l’emblème de la Côte d’ivoire où quel est le chef lieu de la région du Folon ? La réponse n’est pas évidente. Pour que nos enfants et jeunes soient cultivés, il faut qu’ils aient pour exemples des hommes et femmes de cultures, des hommes et femmes des sciences. Tous les parents souhaitent que leurs enfants deviennent des ministres, des commis de l’Etat, de grands sportifs, mais on ne les entend jamais souhaiter à leur progéniture de devenir un écrivain. Le jour, l’on donnera à miss mathématique le même prix que celui remis à miss Côte d’ivoire, le jour on célébrera le grand prix littéraire d’Afrique noire comme on célèbre les sportifs après une victoire, nos enfants verront l’importance d’être cultiver et la culture influencera leur comportement social. Un ivoirien vivant en France, Gauze, prix ivoire 2019, grand prix littéraire d’Afrique noire 2019, est sur tous les plateaux de télévision, fait la une des journaux à grand tirage en Europe. Qui le connait en Côte d’ivoire ? Qui l’a une fois reçu et féliciter ? Est-ce qu’il a l’argent ? Non. Donc ce n’est pas une réussite sociale.
Des parents abonnés absents
Une fois encore les enfants sont pointés du doigt. « Ils sont gâtés et bandits » ; « ils ne respectent personne » « A notre temps, ce n’était pas comme cela ». Mais pourquoi, chers parents à votre temps ce n’était pas comme cela ? Parce que tout simplement à votre temps vos parents étaient disponibles pour vous. Ils ont éduqué leurs enfants que vous étiez, aujourd’hui vous, par contre, vous élevez vos enfants. Nuance. Aujourd’hui, sous le double prétexte de l’égalité des sexes et de la société de consommation donc du productivisme, les parents n’ont plus le temps à consacrer aux enfants. Tôt le matin, papa et maman sont partis. Ils rentrent tard la nuit, les enfants endormis. Il est difficile d’être contre la promotion du genre, mais avons-nous une fois réfléchi sur ses inconvénients ? Autrefois, les mamans étaient à la maison et veillaient à l’éducation de leur progéniture. Elles montraient à l’enfant les interdis et les valeurs sociétales. Aujourd’hui, on voit des tontines sexuelles organisées par des élèves, mais parce qu’il n’ y a personne à la maison pour dire aux enfants que le sexe est sacré et qu’il n’est pas un jeu. L’éducation des enfants est confié au personnel de maison dont ce n’est pas le rôle et qui lui-même a besoin d’éducation.
Combien de parents d’élèves connaissent l’école de leurs enfants ou se sont entretenus, une fois, avec le maître ou le professeur de leurs enfants ? Ces sont toujours les filles de maisons qu’ils envoient répondre aux convocations des enseignants. L’absence des deux parents à la maison, auprès des enfants, est un fléau des temps modernes. Pourquoi notre politique sociale ne prendrait-elle pas en compte, en termes de versement d’allocation familiale, la présence de la mère à la maison ? Pour faire simple, pour l’éducation des enfants, l’Etat devrait payer les mamans qui bien que diplômées ou qualifiées voudraient rester à la maison auprès de leur progéniture pour un meilleur encadrement. C’est un travail, l’éducation des enfants. Evidemment, les pourfendeurs d’une telle mesure opposeront la sempiternelle question budgétaire. Où trouver l’argent pour financer un tel projet ? C’est simple, procéder à un ajustement institutionnel, mettre fin à l’inflation institutionnelle, diminuer le nombre surabondant d’institutions, le nombre de ministres etc et prendre cet argent pour l’éducation des enfants et des jeunes. Pour une fois, le discours politique serait en adéquation avec les actes. Affirmer tous les jours que les enfants et les jeunes sont l’avenir de ce pays et prendre des reformes à l’avantage des seuls adultes et vieux est politiquement incorrect.
A l’observation, arrêtons maintenant d’accuser nos enfants car ils sont le résultat de notre mode vie et de notre modèle de société.
Geoffroy-Julien Kouao’’ (écrivain)
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