Urgent-Dossier d’AUJOURD’HUI-Côte d’Ivoire : face à un homme qui s’en fout- »la loi me permet d’être candidat »

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Le président ivoirien a été investi, samedi à Abidjan, par des milliers de supporteurs qui ont fait le plein du stade Houphouët-Boigny. Alassane Ouattara y a dit sa détermination à briguer un troisième mandat  alors que celui-ci est inconstitutionnel. Car c’est un homme qui est prêt à tout pour rester au pouvoir.

ADO KOLe chef de l’Etat ivoirien a gagné au moins sur deux tableaux samedi dernier : se faire investir pour un mandat anticonstitutionnel dans un stade Houphouët-Boigny dont les gradins ont été tous occupés et ne pas affronter de nouvelles manifestations, contrairement à ce qu’avait annoncé l’opposition. Fier de la journée, le président ivoirien n’a pas eu le triomphe modeste et a accusé ses adversaires d’être des peureux, des gens qui instrumentalisent des enfants des autres alors qu’ils sont au chaud chez eux.

Avant lui, la ministre de l’éducation nationale Kandia Camara avait embrayé sur ce thème en citant quelques enfants célèbres des principaux leaders du pays. Mais à l’évidence, de telles accusations prêtent à sourire, surtout qu’elles sont proférées par des personnes qui ont créé et sustenté une rébellion armée et son patron Guillaume Soro qui dit aujourd’hui le regretter.

UN HOMME DÉTERMINÉ

ADO 1 COUP KOCela dit, Alassane Ouattara est un homme déterminé et prêt à tout pour garder le pouvoir. Il l’a d’ailleurs clairement démontré en affirmant qu’il ira déposer sa candidature, ce lundi à la CEI. Il a aussi indiqué que vu le nombre de ses parrainages, un million selon lui, il est certain de gagner les élections au premier tour. C’est pourtant impossible. Mais en additionnant la logique de la foule dont la quasi-totalité a été corrompue avant d’accepter de rallier le chaudron ivoirien et les suffrages qu’il croit pouvoir obtenir dans les urnes, Alassane Ouattara prépare les esprits à la façon dont il entend se proclamer vainqueur de l’élection présidentielle du 31 octobre prochain.

Pour ce faire, il dispose de puissants appuis au sein de la Commission électorale indépendante qui lui est majoritairement favorable et dont la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) avait demandé, dans son arrêt de juillet dernier, un rééquilibrage des  forces . De nouvelles élections doivent logiquement être organisées dans les différentes CEI locales mais le chef de l’Etat continue de faire la sourde oreille. La Commission centrale de la CEI continue, elle aussi, de susciter la méfiance de l’opposition qui met en doute sa neutralité.

CEI PDT 2Le patron de cette Commission, Ibrahime Coulibaly Kuibiert, un proche du président du Conseil Constitutionnel, proche du président Ouattara, ne se gêne d’ailleurs pas à prendre des positions pour le parti au pouvoir. Comme sur la question de la radiation des noms de Laurent Gbagbo, Guillaume Soro et Charles Blé Goudé.

Le gouvernement a en effet rayé leurs noms de la liste électorale en raison d’une disposition du code électoral qui stipule que toute personne condamnée par contumace ou par défaut ne doit pas figurer sur la liste électorale. Or ce code électoral a été pris seul par le président de la République par ordonnance, c’est-à-dire sans le moindre consensus.

A l’évidence, cette disposition a été instrumentalisée  contre ces personnes qui sont hors du pays, soit pour cause d’exil ou, dans le cas de l’ancien président de la République, parce que le gouvernement refuse de lui délivrer un passeport ordinaire. L’ancien président Laurent Gbagbo et son ministre de la jeunesse ont été condamnés à Abidjan par contumace alors qu’ils étaient encore empêchés par la CPI de rejoindre leur pays d’origine. Mais alors que la condamnation n’est pas réputée définitive, le gouvernement assure que c’est une condamnation par défaut. Enfin bref, le parti au pouvoir fait tout pour empêcher ses adversaires de participer à l’élection d’octobre prochain ; de sorte qu’il ne fait pas l’ombre d’un doute qu’Alassane Ouattara ne cherche juste que le prétexte du scrutin du 31 octobre pour s’éterniser  au pouvoir.

LA LOI ME PERMET D’ÊTRE CANDIDAT

ADO AUJOURDHUI KO2Comme ces dernières années, Alassane Ouattara a réitéré devant ses partisans qu’il est éligible, prenant à témoin tous les constitutionnalistes du pays et en évoquant pour son cas la non-rétroactivité de la loi. La plupart de ceux d’entre eux qui ont pris la parole ont pourtant dit qu’un troisième mandat est techniquement impossible à justifier et le Pr. Ouraga Obou qui a avait présidé la rédaction de la nouvelle Constitution est toujours aphone. Pendant les travaux préparatoires, cet enseignant proche du FPI avait affirmé que le chef de l’Etat n’allait pas se présenter à un nouveau mandat. A cela, il faut ajouter la continuité législative que théorise l’article 183 de la Constitution.

Hâbleur devant ses partisans qui n’ont pourtant pas hésité de fuir les gradins du stade pendant qu’il parlait, Alassane Ouattara a fait croire qu’il se faisait violence en se présentant à un mandat qui provoque une flambée de violences dans les rues d’Abidjan. A ce jour, huit personnes sont mortes, les deux dernières personnes lors des affrontements entre la communauté malinké opposée aux manifestations contre le troisième mandat et le reste de la population. D’importants dégâts sont constatés dans la ville à l’issue de plusieurs jours de violences.

« ON S’EN FOUT DU CORONA »

ADO DAGRI stade covid3Signe qu’il ne respecte rien, le président ivoirien, totalement ivre de bonheur, s’est jeté dans les bras de la Grande Chancelière, Henriette Dagri Diabaté qui venait d’adouber sa candidature au nom du parti, en s’écriant: « on s’en fout du corona !», en raison du manquement aux règles édictées par le gouvernement dans le cadre de la crise sanitaire dont il venait de se rendre coupable.

Des millions d’Ivoiriens souffrent pourtant des conséquences économiques causées par la pandémie. Les opérateurs économiques, en particulier ceux du secteur de l’hôtellerie  et des activités de nuit n’ont repris qu’au début du mois d’août et des millions d’Ivoiriens ont été quasiment confinés pendant des mois chez eux en raison des dispositions prises par le gouvernement.

ALASSANE OUATTARA LEDEBATIVOIRIEN.NETMais ces restrictions n’avaient déjà pas empêché des proches de ministres ou directeurs d’administrations proches des cercles de la présidence d’éviter de se mettre en quarantaine comme le voulait la règle. Même les députés proches du régime avaient, eux aussi, foulé aux pieds les dispositions prises par le Conseil National de Sécurité dans le cadre de la crise sanitaire. Preuve qu’il n’y a de loi que celle qui plaît au président et que la Côte d’Ivoire fait désormais face à un homme qui s’en fout de ce que son orgueil et son goût immodéré du pouvoir peuvent causer à notre pays.

SEVERINE BLE

Aujourd’hui N°1702

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