Invité par le bureau de la Cour Pénale Internationale en côte d’Ivoire l’écrivain et enseignant de droit constitutionnel Geoffroy Julien Kouao, lors de la conférence qu’il a animé lundi 20 septembre à Abidjan décrypté «l’exercice du mandat de la CPI : Les défis à relever»
« C’est exactement le 1er juillet 2002 que le premier tribunal international permanent chargé de poursuivre les auteurs présumés de génocides, de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et des crimes d’agression a vu le jour. 18 ans après, la Cour pénale internationale a-t-elle atteint ses objectifs ?
Est-elle parvenue à protéger les paisibles populations civiles contre les prédateurs des droits humains ? La réponse est malaisée. Nonobstant 9 examens préliminaires, 35 mandats d’arrêt délivrés, 9 citations à comparaître émises, 28 affaires ouvertes et 6 personnes condamnées, la CPI dans l’exercice de son mandat reste confronté à un triple défi juridique, fonctionnel et politique.
I-Les défis juridiques
Les restrictions juridiques à la compétence de la CPI sont :
1-absence de compétence universelle
Il résulte de la lecture de l’article 12 du statut de Rome que la compétence de la Cour pénale internationale est fondée sur le principe de compétence pénale territoriale et non sur la théorie de l’universalité de la compétence pénale. En effet, le régime prévu au Statut de Rome qui exige que l’Etat non partie à ce Statut et sur le territoire duquel les infractions ont été commises ou dont l’auteur porte sa nationalité donne son consentement avant que
la cour puisse exercer sa juridiction, affaiblie considérablement la Cour pénale internationale et rend ses pouvoirs très limités. La compétence universelle qui est, en droit, la compétence exercée par un État qui poursuit les auteurs de certains crimes, quel que soit le lieu où le crime est commis, et sans égard à la nationalité des auteurs ou des victimes devrait être reconnue à la CPI au regard des objectifs qui lui sont assignés.
2-Le principe de la complémentarité de la CPI
La première disposition décevante tient au fait que la Cour reçoit une compétence complémentaire de celles des juridictions pénales nationales pour juger, sans effet rétroactif, les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et aussi les crimes d’agression. En application de cette disposition, on a assisté à des jugements expéditifs.
En effet, après l’invasion de l’Irak par les troupes anglo-américaines en 2003, le procès de Saddam Hussein, laissé à une juridiction locale, a été bâclé pour aboutir à une mise à mort rapide par pendaison en 2006, sans que la lumière soit faite sur les accusations de crimes notamment contre les Kurdes irakiens et la communauté chiite. La mise à mort brutale du colonel Mouammar Kadhafi, en 2011, après l’intervention de la France et du Royaume-Uni en Libye, représente un autre échec pour la justice internationale, qui n’a pas pu enquêter sur les crimes dont il était accusé.
De même, le procès ouvert à Khartoum contre l’ex- président du Soudan, Omar El Béchir, ne permettra certainement pas à la justice internationale de faire la lumière sur les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et de génocide pendant la guerre du Darfour. Un amendement au principe de la complémentarité serait heureux pour une meilleure protection internationale des droits humains.
3-La compétence limitée aux États ayant ratifié le Statut et les amendements de Kampala
Seuls les Etats parties, c’est-à-dire, ceux qui ont ratifié le Statut de Rome, sont autorisés à saisir le procureur de la Cour pénale internationale. Rappelons que l’ONU compte 193 Etats membres, la CPI, elle compte 123 adhérents, c’est-à-dire, nous avons 70 Etats qui ne peuvent pas, en l’état actuel, saisir la CPI.
4-La possibilité de blocage de la Cour par le Conseil de sécurité
En vertu de l’article 16 du Statut de Rome, le Conseil de sécurité est investi d’un autre pouvoir, celui de surseoir à une enquête ou à une poursuite pénale. En effet, il pourra demander à la Cour pénale internationale de ne pas engager ou de suspendre des enquêtes ou des poursuites sur le fondement du chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Vu la nature hautement politique du conseil de sécurité, on peut l’affirmer sans risque de se tromper que la politique tient le droit pénal international en état.
II-Les défis relatifs au fonctionnement
Les dysfonctionnements de la CPI sont nombreux et récurrents:
1-La lenteur des procédures
Le vrai défi de la CPI, c’est la réactivité et l’efficacité des procédures. Il faudrait une politique de poursuite plus déterminée, des procédures simplifiées et des moyens d’action allégés. La cour devrait s’imposer des délais, un an, ou deux ans maximum, par exemple, pour traiter les dossiers pour que les populations voient les résultats plus rapidement. Un exemple, Laurent Gbagbo est arrivé à la Haye en 2011. Son procès à débuté en 2016 pour connaitre un dénouement en première instance en 2019. Soit 8ans.
2-les lacunes des enquêtes, les éléments de preuve insuffisants
La médiocrité des enquêtes et des stratégies de poursuite a conduit à des non-lieux en faveur du président Uhuru Kenyatta et de plusieurs responsables kényans, auxquels s’ajoutent les dossiers de seconds couteaux refermés eux aussi sans condamnations. L’enquête conduite par le procureur à partir de 2010 a été bâclée et l’accusation a constamment été entravée par des interférences avec les témoins.
Lors du procès de William Ruto, seize des trente-deux témoins prévus par l’accusation ont soit refusé de se rendre à la barre de la Cour de La Haye, soit sont revenus sur leurs dépositions initiales lorsqu’ils se sont retrouvés face aux juges. La procureure, Fatou Bensouda, a d’ailleurs émis des mandats d’arrêt, en 2013 et 2015, contre trois Kényans pour « entrave à l’administration de la justice ». Mais aucun n’a été livré à la Cour par Nairobi.
III- Les défis politiques
Les obstacles politiques à l’exercice des mandats de la CPI sont :
1-Protection des États membres permanents du Conseil de sécurité et de leurs alliés
Selon l’article 13 du Statut de Rome, le Conseil de sécurité peut saisir la Cour, sur la base du chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Le conseil de sécurité compte 15 membres dont 5 permanents (Etats-Unis-Russie-Chine-France et Grande-Bretagne) dispose du droit de veto. Les Etats-Unis et la Russie ont signé mais pas ratifié le statut de Rome. La Chine ne l’a ni signé ni ratifié. On comprend aisément pourquoi en dépit des appels des victimes locales de l’armée syrienne régulière et de dirigeants de pays occidentaux, Bachar Al Assad est quasiment certain d’éviter une saisine par l’ONU de la CPI pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, en raison de l’opposition de la Russie
2-Le manque de volonté du Bureau du procureur d’enquêter sur les États puissants
Il est notable de constater que ce défi à été relevé avec les enquêtes préliminaires autorisées pour les crimes commis en Afghanistan et en Palestine. En réaction, les Etats-Unis ont imposé, le 2 septembre 2020, des sanctions contre la procureure générale de la Cour pénale internationale Fatou Bensouda et l’un de ses collaborateurs. L’administration Trump leur reproche notamment d’avoir autorisé, le 05 mars 2020, l’ouverture d’une enquête sur des crimes de guerre présumés de l’armée américaine en Afghanistan.
3- L’exigence d’immunité pour les chefs d’État en exercice et retraits du traité de Rome des États visés par les enquêtes.
L’une des avancées du statut de Rome est l’absence d’immunité. Cependant au plan national les chefs d’Etat et dignitaires de l’Etat en disposent et l’opposent à la CPI en cas de besoin. Le cas Omar El Béchir est emblématique de cette situation. L’absence des inculpés devant la cour ne devrait constituer un obstacle. Pourquoi la Cour ne rendrait pas des jugements par contumace.
Le Burundi a quitté la CPI après que le procureur a ouvert une enquête préliminaire sur la violation des droits humains dans ce pays.
Conclusion
La CPI est une organisation internationale, c’est-à-dire une association d’Etats souverains. La CPI, elle, par contre, n’est pas souveraine, ceci pouvant expliquer cela. Outre ses propres insuffisances, la justice internationale doit aussi faire face à une menace extérieure. Elle provient de la remise en cause du multilatéralisme par les Etats-Unis, qui furent pourtant à la source de la création des organisations internationales sur les cendres de la Seconde Guerre mondiale. Dans une récente diatribe,
l’administration Trump s’est lancée dans une attaque en règle contre la CPI, accusée d’être illégitime et de menacer les Etats-Unis et leurs alliés. Il n’est pas certain que la justice internationale puisse gagner son bras de fer avec la première puissance mondiale. D’autant que Moscou et Pékin voient, aussi, en elle une menace. Mais, tout ceci ne justifie pas l’absence de réparation ou les réparations dérisoires alloués aux victimes dans les rares cas de condamnation prononcée par la CPI. Voici un autre défi à relever ».
Geoffroy-Julien KOUAO
Politologue et Ecrivain
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