Au cours d’une conférence-débat, mercredi 7 octobre 2020 à l’hôtel Rose Blanche, à l’initiative du Réseau Ouest-Africain pour l’Edification de la Paix ( WANEP), le politologue, juriste et écrivain Geoffroy Julien Kouao s’est clairement prononcé sur l’appel au mot d’ordre de l’opposition ivoiriens en planchant sur : «La désobéissance civile : Un acte démocratique ou un acte d’incivisme ? ».
Ici, ses réponses déroutantes et éclairées devant l’appel de l’opposition ivoirienne conduite par Henri Konan Bédié, à la désobéissance civile .
« Face à la forfaiture, un seul mot d’ordre : la désobéissance civile» déclarait M. Henri Konan Bédié le dimanche 20 septembre 2020. Et depuis cette date, la désobéissance civile anime toutes les causeries et réflexions politiques en Côte d’Ivoire. Qu’est-ce que la désobéissance civile ?
Une combinaison harmonieuse des écrits de John Rawls, de David Henri Thoreau et de Jürgen Habermas donne la réponse suivante : « La désobéissance civile est une forme de résistance passive qui consiste à refuser d’obéir aux lois ou aux jugements d’ordre civil. Elle a pour objectif d’attirer l’attention de l’opinion publique sur le caractère inique ou injuste d’une loi avec l’espoir d’obtenir son abrogation ou son amendement. »
La résistance à la loi est un thème aussi vieux que la pensée politique depuis qu’Antigone s’est opposée à son oncle Créon, 439 avant J.C. Historiquement, la désobéissance civile a toujours été mise au service de grandes causes : le premier mouvement contemporain connu de la désobéissance civile est celui initié contre la colonisation britannique par l’avocat indien Mohandas Karamchand Gandhi qui initia la marche du sel en 1930.
En 1955, aux Etats-Unis, en réaction contre la politique ségrégationniste, le pasteur Martin Luther King organise le boycott des bus de Montgomery. Restons aux Etats-Unis, dans les années 60, le mouvement Hippie initie un mouvement non violent, pour s’opposer à la société puritaine, au consumérisme et à la guerre du Vietnam. 2004, en France, des militants écologistes conduits par José Bové détruisent des champs d’essai d’organismes génétiquement modifiés devant les caméras du monde entier.
Cet appel à la désobéissance civile en Côte d’Ivoire est-il légal?
En Côte d’ivoire, selon l’opposition politique, la cause de l’appel à la désobéissance civile est le refus d’extension des droits civiques et sociaux des citoyens. Cet appel à la désobéissance civile est-il légal? Répondre à cette interrogation revient à résoudre la problématique de la désobéissance civile face à la normativité du droit.
La déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 aout 1789 consacre le droit de résistance à l’oppression à son article 2. Le préambule de la déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 également. Or, la constitution ivoirienne dans son préambule fait référence à la déclaration de 1948. Celle-là est donc une explicitation de celle-ci.
De ce qui précède, sauf à renoncer à l’Etat de droit, la constitution du 08 novembre 2016 reconnait aux citoyens ivoiriens le droit de dire non à une loi lorsqu’elle est manifestement injuste. Par ailleurs, le statut de la fonction publique reconnait au fonctionnaire le droit de refuser d’obéir à un ordre manifestement illégal, injuste.
Cependant, la répression des actes de rébellion tels que définis par le code pénal ivoirien ne remet-elle pas en cause la désobéissance civile ? En effet, refuser d’obéir volontairement à la loi et aux institutions n’est-il pas un acte de rébellion ? Devant un tribunal, le refus d’obtempérer à une prescription légale émanant d’une autorité instituée est un délit ; et invoquer une clause morale ou politique pour justifier le fait de l’avoir volontairement commis joue rarement en faveur du contrevenant.
Or, de façon assez paradoxale, la désobéissance civile est, en tant que forme d’action politique, une démarche qui repose sur un appel à la justice. A l’analyse, la désobéissance civile est une notion à forte charge d’ambivalence, d’où sa complexité. Une double étude des caractéristiques (I) et des effets de la désobéissance civile (II) nous éclairera davantage.
I-Les caractéristiques de la désobéissance civile
« La désobéissance civile est un acte public, non violent, décidé en conscience, mais politique, contraire à la loi et accompli le plus souvent pour amener un changement dans la loi ou bien dans la politique du gouvernement » cette définition donnée par John Rawls permet de voir que la désobéissance civile renferme six caractéristiques distinctes cumulativement exigées.
-Le premier élément est qu’il faut commettre une infraction de manière consciente et intentionnelle. Dans l’espèce ivoirienne, l’opposition politique sait très bien ce qu’elle fait et ce qu’elle veut : s’opposer à l’application de la loi qu’elle juge injuste voire inique.
-Le deuxième élément est que l’acte doit être public. La publicité de l’acte vise à lui donner une valeur de symbole, à toucher l’audience la plus large possible pour sensibiliser le public à la cause défendue. Les meetings, les rencontres de mobilisation, les appels à la mobilisation dans les médias le montrent bien, l’opposition souhaite un mouvement pacifique populaire.
-Le troisième élément est que l’action doit être réalisée collectivement. Au-delà de ses militants, l’opposition politique veut la participation de toutes les forces vives de la nation. Y parviendra-t-elle ? J’avoue ne pas avoir la réponse.
-Le quatrième élément est que l’acte doit être réalisé en utilisant des méthodes pacifiques. L’opposition le dit à l’envi, la désobéissance civile qu’elle entend organiser se fera avec tous les moyens pacifiques. Lesquels ? Un mouvement de masse peut-il se faire sans dégâts ? L’opposition en est certaine. Les observateurs restent sceptiques.
-Le cinquième élément est que l’action doit être réalisée en acceptant les éventualités d’une sanction. Une désobéissance civile est une remise en cause de l’ordre public, de la légalité républicaine. C’est connu et bien connu, en politique toute action appelle une réaction. Quelle sera la réaction des pouvoirs publics ? Dans tous les cas, l’opposition, elle, semble déterminée à assumer ses actes même si je pense que cet appel à la désobéissance civile est une offre de dialogue qu’elle envoie au pouvoir.
-Enfin, le dernier élément, sans doute le plus important, est que l’action réalisée doit faire appel à des « principes supérieurs » pour justifier la violation d’une norme. C’est l’existence de ces principes supérieurs qui confèrent une certaine légitimité à l’action. Au cœur de la désobéissance civile se trouve les notions d’éthique, de droit naturel qui existe en dehors de toute société étatique et de tout ordonnancement juridique. Aussi paradoxale que cela puisse paraître, la désobéissance est un acte civique qui n’est pas sans conséquences.
II-Les conséquences de la désobéissance civile
Une triple conséquence politique, économique et sociale découlera de la réussite ou non de cette désobéissance civile
-Les conséquences politiques
La réussite de la désobéissance civile de l’opposition va certainement mettre fin au processus électoral et la refonte des institutions politiques et juridictionnelles. Un échec, renforcera le parti présidentiel et les fondements de la troisième république pourtant mal définis. Un fiasco va accentuer la fracture politique et radicaliser les postures politiques.
B-les conséquences économiques
La désobéissance civile va paralyser le monde agricole, industriel et commercial. Une inflation à court terme n’est pas à écarter. A moyen et long termes on assistera à une récession économique.
C-Les conséquences sociales
La désobéissance civile suppose un arrêt du travail, c’est dire que les écoles seront fermées, les hôpitaux fonctionneront au ralenti, les unités industrielles fermeront leurs fortes, les transports seront fortement perturbées etc. En sorte, une ville morte voire un pays mort.
Conclusion
« Quand la loi est injuste, la désobéissance devient un droit » écrivait André-Compte-Sponville. C’est un droit naturel supérieur au droit positif. Les crises électorales récurrentes dans notre pays depuis trois décennies sont symptomatiques de la mauvaise articulation de notre arsenal juridique d’une part, et de l’organisation « caricaturale et approximative » de nos institutions qui loin d’être républicaines, c’est-à-dire neutres, ont toujours été au service du prince et non du peuple, d’autre part.
Le constat fait, que surgit une interrogation ? A qui la faute ? L’opposition peut-elle valablement se prévaloir de sa propre turpitude ? Ces règles de droit contestées, ces institutions politiques, administratives ou juridictionnelles vomies ne sont-elles pas l’œuvre des compromissions politiques de la classe politique, toutes tendances confondues, depuis la mort de Félix Houphouët-Boigny ?
Le troisième mandat, l’appel à la désobéissance civile sont-ils faits dans l’intérêt des ivoiriens ou pour des intérêts partisans voire égoïstes ? La réponse est malaisée. Je pense que notre classe politique gagnerait à saisir l’opportunité que lui offre la médiation tripartite Union Européenne-Union Africaine et CEDEAO pour engager un dialogue direct entre la majorité et l’opposition pour aplanir ses divergences. La Côte d’Ivoire ne peut pas se payer le luxe d’une autre guerre électorale après celle de 2010. La Cour pénale internationale non plus.
Geoffroy-Julien KOUAO
Politologue et Ecrivain
Auteur de «Côte d’Ivoire : Une démocratie sans démocrates ?
La ploutocratie n’est pas la démocratie»
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