Si le président Blaise Compaoré à 74 ans dont 27 au pouvoir, éprouve une sorte de lassitude du fait du poids de l’âge, et n’entend plus revenir au-devant de la scène, son jeune frère Paul François Compaoré (71 ans), semble ne pas être tout à fait dans les mêmes dispositions d’esprit. L’homme paraît toujours combatif, et des ambitions « brillent » dans son regard, selon des articles parus sur lui en 2025. Espère-t-il capitaliser un jour sur la nostalgie que les Burkinabés éprouvent désormais (bien sûr sans le dire ouvertement) du long règne de son frère aîné ?

Aujourd’hui on ne peut s’empêcher de dresser un tableau comparatif du Burkina sous Blaise Compaoré, et celui des régimes qui se sont succédé après sa chute. Et le contraste est pour le moins saisissant. Sur le plan politique, les libertés sous Blaise Compaoré étaient relatives mais réelles.
Le jeu démocratique était assez ouvert. Le président Blaise n’était pas plus « dictateur » que ses pairs d’Afrique, si on veut dire les choses simplement. François Compaoré qu’on voyait succéder un jour à son frère, avait échoué à remporter la Mairie de Ouagadougou, ce qui montre que les élections n’étaient pas aussi verrouillées que cela.
En 2014 le parlement comptait 127 députés, dont 47 qui n’étaient pas du parti au pouvoir, soit une proportion de 38%. Ils sont bien peu nombreux les parlements africains qui peuvent en 2025 revendiquer cette proportion d’élus de l’opposition. Le premier Ministre était constamment dans l’hémicycle où il était soumis à des feux nourris de l’opposition. Il y a avait une vie politique dans le pays.

L’économie avait commencé à accélérer à partir des années 2000. Échangeurs, voies expresses, immeubles de quatorze niveaux et plus, nouveau palais présidentiel, circulation automobile de plus en plus dense dans le centre-ville….etc….la capitale Ouagadougou se métamorphosait. Les productions d’anacarde et surtout de coton avaient décollé, le Burkina devenant le premier producteur africain de ce produit. La production aurifère avait aussi pris son envol.
La crise ivoirienne détournait les investissements vers le Burkina. Ainsi beaucoup de pme industrielles s’installaient dans ce pays, pour ensuite écouler leurs productions en Côte d’Ivoire. Des groupes burkinabés de BTP intervenaient dans la sous-région. L’économie était clairement sur une pente ascendante, et la corruption n’était pas plus prégnante qu’ailleurs. Il y a avait un climat pro-business dans le pays.
Sur le plan sécuritaire, à partir des années 2011 et 2012, les djihadistes se signalaient au Mali et au Niger, dans la foulée de la chute du dictateur libyen Mouammar Kadhafi. Le Burkina restera épargné jusqu’en 2015. Il se dit que le président Compaoré aurait conclu un « deal » avec les djihadistes. La chose n’a jamais été établie. Pourtant même si « deal » il y a eu, peut-on vraiment lui en vouloir sachant que le pays n’avait pas les moyens de faire face ?

C’est au prix de cet hypothétique « deal » que le Burkina a vécu en paix alors que ses voisins étaient pris dans la tourmente. En fait, il faut se souvenir qu’une première rébellion touareg avait secoué le Sahel au début des années 90. C’est à ce moment que le président Compaoré a pris la mesure du phénomène et les moyens de le contenir à l’avenir. Lorsqu’ en 2011 les Touaregs se sont soulevés de nouveau, il a fait jouer son expérience et ses contacts de façon pragmatique. Voilà toute l’histoire.
En Octobre 2014, il tenta de modifier la constitution par le parlement, afin de s’octroyer un troisième mandat. Ce type d’action était et reste habituel sur le continent. Sur le coup, cela n’apparaissait pas comme une « erreur stratégique », comme certains l’ont dit à postériori. L’homme a tout simplement voulu emprunter la trajectoire de ses pairs. Mais cette tentative a conduit à un soulèvement populaire, puis à son renversement. Le pouvoir n’a pas vu venir cette révolte, ce qui encore une fois atteste que les libertés politiques étaient une réalité dans le pays. Ailleurs la répression des manifestants aurait été à la hauteur des enjeux.

Voulant se débarrasser de tout ce qui rappelait son régime, les nouvelles autorités ont fait table rase de tous les » canaux » qui permettaient de tenir les djihadistes à distance. Elles ont jeté le bébé avec l’eau du bain. Conséquence, à partir de 2015 les attaques djihadistes se signalèrent dans le pays. Depuis onze ans, le pays est dans la tourmente. Après une transition, un régime civil, et deux putschs, les partis politiques ont interdiction d’exercer ( au nom de la lutte contre le terrorisme );
l’économie est toujours dans le creux de la vague du fait de l’instabilité, et la situation sécuritaire a viré au cauchemar pour les populations. Aussi une nostalgie du règne de Blaise Compaoré pointe dans les esprits. C’est naturel. François pourra-t-il un jour en recueillir les dividendes ? La question reste posée. Pour l’instant, l’homme reste empêtré dans des ennuis judiciaires.
La mort du journaliste Norbert Zongo reste un boulet qu’il traîne avec lui.
Ce journaliste enquêtait sur la disparition mystérieuse du chauffeur de François Compaoré, lorsqu’il fut assassiné en Décembre 1998. Les regards se sont immédiatement portés vers François, qui a réfuté toute implication. Cet assassinat a généré une forte émotion, et donné lieu à des émeutes qui ont failli emporter le régime dans les années 1999 et 2000. La justice burkinabé a innocenté François Compaoré. Mais le dossier fut rouvert après 2014.

Entre-temps, l’homme s’était réfugié en France avec sa famille. Un d’arrêt international fut émis à son encontre en 2017, il est arrêté en France cette même année, et son extradition est décidée en 2020. De recours en recours, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a finalement cassé en Septembre 2023 la décision d’extradition, au motif que les conditions n’étaient plus réunies au Burkina pour un procès équitable, le pays étant dirigé par une junte.
Venu discrètement passé quelques jours à Abidjan au chevet de son frère malade en fin d’année 2024, François Compaoré n’a pu regagner la France depuis, faute de renouvellement de son visa. En cause la notice rouge sur son passeport, conséquence du mandat d’arrêt international. A l’instar du président Blaise, François a aussi acquis la nationalité ivoirienne. Il est peu probable que la CI l’extrade. Mais il n’est pas exclu qu’à la faveur d’un déplacement dans un pays tiers, ce mandat d’arrêt soit finalement exécuté. La prudence s’impose donc pour lui.
En Mars 2025, la presse faisait état qu’il avait décidé de renoncer aux procédures administratives engagées en France pour le renouvellement de son visa. Ses démarches visent désormais à faire effacer la notice rouge d’Interpol sur son passeport. Agronome de formation, l’homme avait plusieurs activités lorsque son frère dirigeait le « pays des hommes intègres ». Désormais installé à Abidjan, il tente de les relancer, bien sûr avec toute la discrétion requise.
» Monsieur frère » comme on l’appelait lorsque son frère était au pouvoir, concentrait sur lui les critiques à l’égard du régime.

Mais depuis 2014, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, et il se peut que l’opinion ait « passé l’éponge » sur l’affaire Norbert Zongo, vue la trajectoire chaotique du pays depuis 2014. Le long règne du président Blaise Compaoré est aujourd’hui « valorisé » par de plus en plus de burkinabè (même s’ils se font discrets, contexte oblige).
Le jeune capitaine à la tête du pays a décrété la » révolution populaire progressiste « . On ne sait pas quand les partis politiques seront de nouveau autorisés. Mais si le jeu démocratique s’ouvre un jour, et si Paul François Compaoré parvient à se départir de ses ennuis judiciaires, l’héritage de son frère aîné sera une précieuse carte s’il décide de renouer avec la politique.
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