« Eloka et M’Batto Bouaké ne céderont pas et se tiennent débout »
Une grave menace du droit fondamental à la terre
Des terres héritées de leurs ancêtres et garantes de leur identité, de leur culture et de leur survie économique, font aujourd’hui l’objet de convoitises sans précédent. Des acquisitions foncières opaques, des accaparements déguisés sous couvert de projets dits « de développement ».

Les communautés locales d’ELOKA et de M’Batto Bouaké, n’en croient pas leurs yeux regardant ce qui est orchestré sous leurs yeux. Elles ont juste puisé loin dans leurs tripes pour exposer leur cauchemar face aux journalistes en ce mois de mai 2025. Ledebativoirien.net a été témoin de l’action.
Elles ont brisé le silence devant le désastreux constat de spoliation dont elles sont victimes en présence des autorités sur leur responsabilité, leur silence ou leur complicité dans ces opérations qui se déroulent dans cette zone de la Côte d’Ivoire.
« Nous ne sommes pas opposés au développement. Mais un développement qui se construit sur l’injustice, l’exclusion et la violence foncière ne peut être ni durable, ni prospérer dans le temps », a déclaré le Comité des cadres des villages d’Eloka et M’battp-B pour la Défense de leurs terres occupées par Palmafrique. Anderson Adié, Boka Raoul, Assandré Olivier, Akobey Romain Roland… ont crié haut face à cette injustice historique persistante : la spoliation de leurs terres ancestrales.
Allons-y pour le contexte historique
Le village d’Eloka (Elokaté et Elokato) et de M’Batto Bouaké, situés dans la Sous-Préfecture de Bingerville, sont des villages autochtones Atchan et GWA. Depuis des générations, ce peuple vit sur ces terres objet de convoitise, les cultive, les protège, et y puise son identité.

En 1928, la Société des Plantations de l’Afrique de l’Ouest (SPAO) a réquisitionné, sous le régime colonial, les terres des villages d’Elokato, d’Elokate et de M’Batto-Bouaké à des fins agricoles, sans purge des droits coutumiers ni indemnisation. Détruisant les plantations de cacaoyers, caféiers, cultures vivrière et des campements villageois, et ce, malgré les protestations de la communauté villageoise et du chef coutumier d’alors Antoine Djoro.
Dans les années 1960, dans un contexte de politique agricole nationaliste, l’État ivoirien (indépendant) a procédé à l’expropriation de milliers d’hectares sans respect des procédures légales, ni reconnaissance des droits coutumiers des populations d’ELOKA et de M’Batto Bouaké pour promouvoir diverses cultures de rentes. C’est dans cette dynamique que le 02 mai 1964, l’Etat Ivoirien crée la SODEPALM devenu aujourd’hui PALMAFRIQUE en remplacement de la SPAO à travers les arrêtés N 604 et 837AGRI/DOM de l’année 1964, et ce dans la valorisation de la culture du palmier à huile.

Une fois encore, cette communauté cède ses terres sans dédommagement pour cause d’utilité publique. Mais dans l’exécution de ses travaux, la SODEPALM va empiéter sur les terres restantes de la communauté villageoise.
A la suite de nombreuses interpellations, le président Félix Houphouët-Boigny, promet la rétrocession des terres occupées par SODEPALM, après un certain nombre d’année, 27 ans d’exploitation. Dans les années 1996, à la faveur de la politique de privatisation les ex-sociétés d’Etat SODEPALM puis PALMINDUSTRIE devenues aujourd’hui PALMAFRIQUE continue d’exploiter les terres d’ELOKA et de M’Batto Bouaké.
Que s’est-il passé dans les faits
En période postcoloniale, avec l’accession à l’indépendance politique, l’Etat de Côte d’Ivoire s’est approprié la parcelle de 2339 Ha 28 A 28 Ca, et l’a concédée à la société d’Etat, de spécialité agro-industrielle dénommée SODEPALM. Dans le cadre de sa politique de Privatisation, la société est rachetée à l’Etat en novembre 1996, par PALM-INDUSTRIE devenue, aujourd’hui PALMAFRIQUE qui bénéficie du droit d’usage et droit de jouissance, selon elle, prescrit par le bail emphytéotique d’une durée de 99 ans à compter de novembre 1996 sur la parcelle.

Les Communautés villageoises de ELOKA et de M’Batto Bouaké ont réclamé à l’Etat de Côte d’Ivoire le retour dans son domaine privé de ladite parcelle, à travers une correspondance, au ministre de l’Agriculture et des Ressources Animal et réceptionnée, le 27 juin 1996 à la Présidence de la République.
En réponse audit courrier, le président de la République de Côte d’Ivoire, Aimé Henri Konan Bédié, a, par courrier numéro 4124 PR/DAC, en date du 09 Octobre 1996, informé la communauté villageoise de son engagement ferme de rétrocéder ladite parcelle de forêt aux autochtones du village de ELOKA, afin de leur permettre d’entreprendre des exploitations agricoles individuelles.
Pour procéder à l’entrée en pleine jouissance de ce bien, feu le Président Aimé Henri Konan BEDIE, instruit le Ministre de l’Agriculture d’alors, par courrier référencé numéro 4123/CAB ADJT/96, de trouver solution urgente aux préoccupations de la Communauté villageoise de ELOKATO.

« Je vous prie de me faire part de la solution que vous aurez envisagé face à la préoccupation des populations d’Elokato portant d’une part sur la rétrocession d’une parcelle de terre aux populations pour les cultures vivrières et, d’autre part, la cession aux même populations, les parts représentant leur » droit de propriété » lors de la privatisation de la Palmindustrie », insiste le chef de l’Etat Bédié préoccupé par la situation.
Cette situation conduit la société PALMAFRIQUE à signer une convention avec la communauté villageoise du fait du bail emphytéotique en avril 2006. La communauté villageoise requiert de la part de la société en contrepartie de cette occupation de longue durée une redevance.
Ainsi, depuis 2008, les villages d’ELOKA et de M’Batto Bouaké percevaient de la part de PALMAFRIQUE dans une convention les liant la somme de cinq millions (5 000 000f CFA) par an par village comme redevance jusqu’en 2023 en contrepartie du droit d’usufruitier à eux concéder. Dans cette convention il est dit à l’article 2 des engagements des parties que Palmafrique doit au préalable informer les communautés en cas de cession de la parcelle exploitée à toute personne physique ou morale.

Dans l’expectative de la rétrocession des terres, que la communauté villageoise apprend que la société PALMAFRIQUE, par l’intermédiaire de son Directeur Général, a introduit une demande de radiation des clauses en date du 11 Janvier 2023 et enregistré au Guichet Unique du Foncier sous le numéro RC-202300000593 du 31 Janvier 2023. Le 20 mars 2023, le Ministère de la Construction du Logement et de l’Urbanisme fait droit à la demande de la Société PALMAFRIQUE en prenant l’arrêté N° 23-00001/MCLU/DGUF/DDU/SAS/DB/RK portant radiation de la clause d’affectation « à usage exclusif de vente des produits récoltés et terrain rural » de la parcelle de terrain d’une superficie de 23 392 828 m2, sise à ELOKA.
Dans cette même dynamique Le Ministre de la Construction du logement et de l’urbanisme, Bruno Nabagné Koné, par courriers en date du 6 septembre et 9 octobre 2023, a affecté 19.179.200 m² sur les 23.392.228 m² soit 80% des parcelles sises à Eloka et M’Batto Bouaké à une société privée dénommé SCI PALMAFRIQUE Immobilier. Cette affectation est faite en plusieurs blocs selon les courriers.

Dans le courrier le Ministre de la construction avait demandé au bénéficiaire de se rapprocher des services compétents du guichet unique du foncier pour le dépôt d’un dossier de demande d’Arrêté de Concession Définitive (ACD). En fait, une réponse à la société PALMAFRIQUE qui avait introduit une demande d’ACD auprès des services du ministère de la Construction et du logement et de l’urbanisme, le 20 avril 2023, au nom et pour le compte de la Société SCI PALMAFRIQUE IMMOBILIER.
Les communautés villageoises ayant ouïe cette information engage une opposition à délivrance d’ACD par courrier en date du 1er août 2023. De ce fait, l’Usine d’Eloka est en arrêt depuis plus de 9 mois et toutes les cueillettes des régimes de graines sont acheminées vers Anguédedou S/P de Dabou. Tout le personnel essentiel à la production et à l’entretien ainsi qu’une partie de la sécurité ont rejoint leur nouveau poste d’affectation.

Face aux agissements du ministère de Koné Bruno, qui pourrait mettre à mal la cohésion sociale et la paix, par courrier en date du 08 Mai 2023 réceptionné le 10, les communautés villageoises, saisissent une fois encore un courrier de demande de rétrocession de leurs terres.
« Les parcelles étant revenues dans le patrimoine foncier des villages, les communautés ont décidé de les immatriculées à leur profit et c’est à juste titre que les autorités compétentes ont été saisis.
Dans l’attente des résultats de l’enquête publique de mars et avril 2024 relative auxdits parcelles que nous découvrons que le Ministre de la construction de l’urbanisme et du logement a procédé la quasi-totalité de ces parcelles à une structure dite SCI PALMAFRIQUE IMMOBILIER créée de toutes pièces par des particuliers à dessein » révèle le Comité des cadres des villages d’Eloka et M’batto-B pour la Défense de leurs terres occupées par Palmafrique, avant de lancer leur demande.
« Nous, peuple d’Eloka et de M’Batto Bouaké, déclarons solennellement «

« Que ces terres appartiennent historiquement à notre communauté, selon le droit coutumier reconnu par la loi ivoirienne (loi n°98-750 du 23 décembre 1998 sur le foncier rural). Que nous n’avons jamais cédé ces terres à titre définitif à PALMAFRIQUE, ni à ses successeurs. Que nous n’avons jamais donné notre consentement libre, préalable et éclairé à PALMAFRIQUE pour exploiter notre patrimoine foncier à des fins que leur objet social. Que nous exigeons justice, reconnaissance et réparation.
En conséquence, nous réclamons :
L’annulation immédiate des courriers du Ministre portant affectation de nos terres à la SCI PALMAFRIQUE IMMOBILIER, une société de droit privé créée seulement en 2023. L’affectation officielle de la propriété coutumière des terres par l’État au profit des villages d’Eloka et de M’Batto-Bouaké. Le rejet pur et simple de toute procédure engagée par la SCI PALMAFRIQUE IMMOBILIER visant à obtenir des ACD sur nos parcelles. Réclamons dans les plus brefs délais les résultats de l’enquête publique.
« Notre appel à la solidarité«

Nous appelons la presse, la société civile, les ONG de défense des droits humains, les leaders d’opinion, les avocats, les parlementaires, à se tenir aux côtés des villages d’Eloka et de M’Batto Bouaké pour que justice soit faite et que le droit des peuples à la terre soit respecté.
Nous ne sommes pas contre le développement. Mais un développement sans justice est un développement sans avenir. Eloka et M’Batto Bouaké ne céderont pas. Eloka et M’Batto Bouaké se tiennent debout », termine le Comité des cadres des villages d’Eloka et M’battp-B pour la Défense de leurs terres occupées par Palmafrique. Que dira le ministère de la Construction avec ses courriers que la rédaction a bien parcourus, portant affectation des terres des dites communautés à la SCI Palmafrique Immobilier? DOSSIER A SUIVRE.
Ledebativoirien.net
HERVE MAKRE-envoyé spécial
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