«En avril 2011 alors que les combats faisaient rage, la société avait enlevé 1,6 million de barils de brut, permettant ainsi au nouveau président de démarrer son mandat avec une première rentrée d’argent. La collaboration avec le nouveau pouvoir ne s’était cependant pas poursuivie», raconte Mediapart. Pour faire de nouveau de bonnes affaires avec le régime, Gunvor fait appel à un intermédiaire français… qui se trouve être un proche d’Hamed Bakayoko. Tout va alors pour le mieux puisqu’un contrat d’enlèvement de 650 000 barils provenant du champ «Espoir» est signé et exécutée. La cargaison a une valeur de 70 millions de dollars, et Gunvor, en tant que négociant, empoche un mil- lion de dollars. Business as usal, pourrait-on penser… Sauf que…
Or comme l’a appris Mediapart, le directeur de Petro-consulting vit au Mozambique et n’a jamais fourni aucun travail. C’est un partenaire de l’intermédiaire français et il a juste accepté de jouer l’homme de paille pour réceptionner des fonds (…) Le 14 et le 28 avril 2014, plus de 400 000 dollars sont versés sur les comptes de la Petro-consulting à Abidjan. Selon nos informations, la BNP Paribas aurait refusé d’effectuer la transaction estimant que les garanties de transparence n’étaient pas suffisantes.
Une banque moyen- orientale aurait finalement accepté. Plusieurs sources indiquent que l’argent a ensuite été reversé ailleurs, atterrissant in fine dans la poche d’un officiel ivoirien», révèle Mediapart. En gros, dans cette opération, le courtier Gunvor a gagné 1 million de dollars, et en a reversé ipso facto 40% à une société-écran qui appartient à un intermédiaire lié à Hamed Bakayoko. Comme lors d’un scandale précédent au Congo-Brazzaville, des langues se sont déliées. Peut-être parce que le cofondateur de Gunvor, proche de Vladimir Poutine, le numéro un russe, est «pisté» par les États-Unis dont il a pu éviter les sanctions en usant d’un certain nombre d’artifices juridiques. Mais cette dimension n’est pas essentielle pour la Côte d’Ivoire et les Ivoiriens… Un certain nombre de questions se posent, et il faudra que le pouvoir y réponde.
Qu’est-ce que Hamed Bakayoko vient faire dans une affaire de pétrole ?
Jusqu’ici, l’on croyait que les fonctions officielles des uns et des autres dans le système Ouattara correspondaient à un contenu réel. L’on croyait que le ministre de l’Intérieur, Hamed Bakayoko, s’occupait de la police et de l’administration publique, et que le ministre Adama Toungara était celui qui était chargé de gérer les questions pétrolières. L’on croyait que la Petroci, société à participation publique qui a géré cet étrange «deal» pétrolier, était sous sa tutelle. L’on se rend compte que non, et qu’une sorte de hiérarchie parallèle, que Le Nouveau Courrier avait déjà devinée et identifiée sous le nom de «cercle rapproché» d’Alassane Ouattara, existe et se mêle de tout. Cela mérite tout de même des clarifications… si nous sommes encore en République.
Ce système de pots-de-vin est-il généralisé ?
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D’autant plus que le système qui apparaît là est entretenu par les marges élevées qui sont concédées aux négociants, ce qui leur donne structurellement les moyens de redistribuer au personnel politique. «Le pétrole ivoirien a ceci d’attractif : si la production est maigre, les conditions de vente sont très intéressantes, permettant de réaliser une marge d’environ 3 dollars par baril (contre 20 à 30 cents en moyenne), avec tout l’arrière-plan de corruption que cela peut supposer», écrit Mediapart. La marge laissée aux courtiers est dix fois plus élevée que ce qui est généralement pratiqué. Ce surcroît de marge représente une perte d’environ 24 millions de dollars, c’est-à-dire aux alentours de 12 milliards de FCFA. Dans quelles poches s’en va-t-elle ? Mystère.
Hamed Bakayoko cité dans un scandale financier à dimension internationale : voici ce qui va réjouir un certain nombre de figures de l’État RDR. En effet, au sein du sérail Ouattara, en dépit du climat de grande impunité généralisée, qui consiste notamment à «sacrifier» des DAAF là où des responsabilités ministérielles sont engagées, l’on pense qu’il y a «les uns» (qui peu- vent être publiquement humiliés par le chef) et «les autres» (qui disposent d’un «parapluie atomique» les préservant de tout). La réaction de l’actuel maître d’Abidjan est donc attendue. Alors que le pouvoir joue à la comédie de la transparence et des réformes pour augmenter narcissiquement sa position dans le classement Doing Business et l’indice Mo Ibrahim, la justice ivoirienne s’autosaisira-t-elle, d’autant plus que les accusations de Mediapart sont étayées par des documents officiels ? Même si un grand nombre d’observateurs ne se fait guère d’illusions, on attend de voir.
Par Philippe Brou
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