Une  guerre perdue  au MALI (11) : Boko Haram, Al-Qaïda, Daech et le Mali-une série de mésalliances

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Les suppositions sur une implantation de Boko Haram au Mali sont très discutables et le récit qu’en fait AQMI est tout à fait éclairant en la matière.

Par Marc –Antoine Perousse de Montclos/Ledebativoirien.net

Dans son document diffusé en ligne en avril 2017, l’organisation expliquait ainsi qu’un des leaders de Boko Haram, Abubakar Shekau, avait envoyé à sa rencontre une délégation composée d’un émir du groupe, Abu Muhammad, et de deux comparses, Khalid al-Barnawi et Abu Rayhana, qui, selon les djihadistes algériens, avaient déjà combattu avec eux au sein de la katiba (« brigade ») Tariq ibn Ziya.

De son côté, Daech allait confirmer dans un autre message qu’après l’exécution extrajudiciaire du fondateur de la secte islamiste à Maiduguri en juillet 2009, des Nigérians avaient effectivement pris contact avec AQMI pour obtenir des armes, des formations militaires et des financements. Mais on ne sait pas si ces demandes ont abouti. Hormis un versement de 200 000 euros par AQMI, aucun élément tangible et vérifiable n’a permis de confirmer l’existence de transferts d’armes, d’argent ou de combattants en provenance d’al-Qaïda, sans même parler d’un camp de 300 hommes de Boko Haram à Tombouctou en 2012.

Dans les médias ou les blogs de consultants, toutes les spéculations à ce sujet se sont en fait appuyées sur des rumeurs ou les assertions de « spécialistes » de la sécurité qui, bien entendu, refusaient de citer leurs sources. Encerclée par une coalition antiterroriste composée de troupes tchadiennes, nigériennes, nigérianes et camerounaises, une faction de Boko Haram allait finalement prêter allégeance à Daech en mars 2015, allégeance qui fut reconnue par un sbire d’Abou Bakr al-Bagdadi, le calife autoproclamé de l’organisation État islamique. Là encore, cependant, des discordances et des divergences sont vite apparues.

 En effet, la nébuleuse de Boko Haram dérogeait à l’orthodoxie salafiste et se révélait décidément bien peu obéissante. Les élucubrations d’Abubakar Shekau, dont les hommes avaient enlevé les collégiennes de Chibok en avril 2014, allaient notamment porter préjudice à la crédibilité de la mouvance djihadiste globale. Dans leur document d’avril 2017, les émirs d’AQMI confirmaient ainsi leurs suspicions à l’égard d’un leader perçu comme fantasque et même dangereux pour le mouvement lorsque, sous le coup de l’excitation ou l’emprise des drogues, il risquait de révéler des secrets susceptibles de faciliter la tâche des services secrets nigérians

Des rebelles incapables de gouverner

Parmi tant d’autres, le cas de Boko Haram montre finalement qu’il ne faut pas prendre pour argent comptant la propagande de groupes qui revendiquent des connexions fantaisistes avec le reste du monde afin de se rendre plus importants qu’ils ne sont. Composées en grande partie de va-nu-pieds, les diverses mouvances djihadistes qui sévissent au Sahel n’ont en fait jamais démontré leur capacité à renverser des gouvernements et à gérer des États. À l’exception peut-être des Chebab dans le sud de la Somalie, les insurgés ont juste réussi à attirer quelques segments de la population en proposant un contre-projet de société sur la base d’un islam revisité pour les besoins de la cause.

À Tombouctou en 2012, par exemple, AQMI a supprimé les taxes de l’État, distribué de la nourriture aux indigents, financé des mariages religieux, imposé la gratuité des soins à l’hôpital et fourni eau et électricité sans exiger d’être payé. Mais un tel modèle économique n’était absolument pas tenable à terme. Dans la durée, aucun des groupes de la zone n’a su apporter la preuve de sa capacité à gouverner, et pas seulement à tenir des territoires. L’idéologie même des djihadistes s’est construite par opposition à la notion moderne d’État.

En Algérie, l’ancêtre d’AQMI, le GIA (Groupe islamique armé), avait ainsi répudié le principe d’élections dont les militaires avaient de toute façon annulé les résultats favorables au Front islamique de salut en 1991. Dans un sinistre détournement de sens, leur slogan, «un vote une balle», était à peu près l’inverse de celui de l’ANC (African National Congress), one man one vote, qui avait combattu les armes à la main pour que les Noirs d’Afrique du Sud puissent participer aux élections. Au Nigeria, le fondateur de Boko Haram, Mohamed Yusuf, a également condamné les démocraties parlementaires et prôné un modèle théocratique au prétexte que Dieu ne pouvait accepter des gouvernements par et pour le peuple.

La trajectoire de la secte est instructive. Elle souligne en effet les contradictions et les limites d’une protestation islamiste qui, en condamnant les vices de l’éducation occidentale et en interdisant aux fidèles de trouver du travail dans une fonction publique jugée impie, s’est privée de la capacité à mobiliser des intellectuels, des ingénieurs, des médecins ou des enseignants pour construire un État alternatif. Le débat entre les salafistes légalistes et Mohamed Yusuf puis ses successeurs à la tête de Boko Haram en dit long à ce sujet. Appelés Izala (les «éradicateurs de l’innovation sacrilège»), les premiers étaient favorables à une stratégie d’entrisme dans l’État pour islamiser la gouvernance du Nigeria.

Les seconds, eux, recommandaient au contraire d’éviter tout rapport avec les pouvoirs  publics, quitte à se retirer du monde pour fonder sur terre une cité céleste et utopiste. L’establishment salafiste, qui s’empressa de répudier Boko Haram, ne manqua évidemment pas de souligner les incohérences du discours de Mohamed Yusuf. Un des cheikhs les plus en vue des Izala, Jafar Mahmud Adam, moqua ainsi les anathèmes de la secte contre les hôpitaux et les écoles publiques alors même que le fondateur du groupe utilisaient des médicaments, des voitures et des équipements qui avaient été conçus par des ingénieurs et des savants occidentaux et chrétiens.

Le débat allait notamment se focaliser sur l’usage des cartes d’identité, question hautement symbolique de l’emprise des États modernes sur le citoyen musulman. Mohamed Yusuf n’avait-il pas utilisé un passeport nigérian pour se rendre en pèlerinage à La Mecque ? Son geste, expliquaient les détracteurs de Boko Haram, n’était pas blasphématoire et, sollicité par ses successeurs, l’organisation État islamique devait d’ailleurs autoriser les musulmans à porter des cartes d’identité pour, entre autres, échapper aux arrestations. En soi, un document d’identification servait d’abord à recenser les habitants dans un périmètre donné.

Pour les idéologues de l’État islamique, il ne témoignait nullement d’une quelconque allégeance à un gouvernement impie. Les croyants détenteurs de papiers d’identité ne méritaient donc pas d’être excommuniés et exécutés par les djihadistes, position qui allait à l’encontre de celle d’Abubakar Shekau, le successeur de Mohamed Yusuf à la tête de Boko Haram . Chacun à leur manière, les idéologues de l’État islamique et d’al-Qaïda ont ainsi fait preuve d’un certain pragmatisme lorsqu’il leur a fallu composer avec les défis d’une modernité d’inspiration occidentale pour essayer de mettre en pratique une gouvernance de type islamique.

À Tombouctou en 2012, le commandement d’AQMI a également invité ses émirs à tempérer leurs ardeurs religieuses pour se concilier les bonnes grâces des habitants. Leur modération ne fut certes pas suffisante pour garder et exercer le pouvoir. Mais la tentative d’accommodement d’AQMI a témoigné d’une forme de réalisme politique qui contraste avec l’intransigeance de Boko Haram après l’exécution extrajudiciaire de son fondateur en 2009.

Produites sous la forme de tautologies, les réponses de Mohamed Yusuf à ses détracteurs étaient déjà inconsistantes. Ses successeurs n’ont pas fait mieux et leurs incohérences ont plutôt mis en évidence leur profonde incapacité à gouverner et à s’emparer du pouvoir, quitte à contredire le récit anxiogène des décideurs politiques français et des adeptes de la « théorie des dominos » au Sahel.

ASUIVRE… L’OBSESSION RELIGIEUSE MALI, DJENNE, MI-2010

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