Chefferie d’Abatta : le témoignage de Topé qui confond les adversaires  Djomo Hyacinthe

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Dans la crise de chefferie qui secoue le village d’Abatta en ce moment, il y a deux clans antagonistes qui se battent par presse interposée pour se faire entendre. Dans ce même schéma antonymique, il y a deux Chefs. Un Chef qui a un arrêté et donc reconnu par l’autorité administrative (on parlera ici de Chef légal), il s’agit d’Abito Abra Joseph et un Chef reconnu par la communauté villageoise (on parlera de Chef légitime) répondant au nom de Nanan Djomo Hyacinthe Cristal Méval.

Le premier vit hors du village avec son arrêté et tient ses activités loin du village, quand le second, lui, vit au village et préside toutes ses activités notamment, les cérémonies de deuil, les fêtes de génération, les litiges coutumiers etc. Le premier dit tenir sa « royauté » d’un Collège des sages, et pour le second, ce sont les Dougbô, la génération sortie qui a entériné le choix porté sur lui par ses pairs de catégorie.

De ce débat d’antagonisme se dégage plusieurs interrogations. Existe-il en pays Atchan ou à Abatta un Collège de sage ? Comment est-il régi ? Et Quels en sont les membres ? Comment se fait le choix du Chef de village à Abatta ? Comment se sont déroulés les choix des deux Chefs ? Ces choix ont-ils respecté les Us et Coutumes ? Y a-t-il des témoignages de personnes ressources fiables pour départager les deux clans ?

Selon les échanges eus avec plusieurs membres des différentes catégories, composantes de la communauté villageoise, le collège des sages n’existerait pas. Il y a plutôt des personnes issues de deux générations ayant déjà fait l’expérience du pouvoir.

Il revient de tous les témoignages que le choix du Chef de village prend son point de départ au sein de la génération appelée à accéder au pouvoir. Des noms sont donc désignés et la liste présentée à la génération sortante qui procède à la désignation du Chef du village. Pour la génération au pouvoir appelée Tchagba, ce sont les ainés appelés Dougbô qui choisissent parmi les noms présentés, l’individu, selon eux, capable de présider aux destinées du village.

A Adjamé-Bingerville, par exemple, ce sont les Djéhou, de la même génération (Tchagba) qui choisissent le Chef du village. Donc, chaque village a sa spécificité dans le choix du Chef du village.

Selon le notable Topé Christophe et plusieurs autres témoignages recueillis, la génération sortie ayant connu une crise de chefferie (un bicéphalisme), les Tchagba se sont réunis chez leur Doyen pour éviter le même syndrome. Il s’en est suivi une rencontre avec les Gnandô à qui la promesse a été faite de procéder à la désignation du nouveau Chef selon les Us et Coutumes du village en présence d’Aboulé Jean fidèle. Les Gnandô qui les ont reçu chez leur porte-parole Brawa Etienne, ont alors prié ‘’leurs enfants’’ de se réunir au plus vite pour soumettre leurs candidats aux Dougbô.

C’est ainsi qu’une Assemblée Générale a été organisée par les Tchagba pour la désignation du nouveau Chef. Selon, Topé Christophe, les Djéhou, Doyens des Tchagba, se sont abstenus de présenter un candidat. Même son de cloche chez les Dogba. Ce sont donc seuls les Agban et les Assoukrou qui ont pu présenter deux candidats par catégorie. ABITO Gaoua Abrah Joseph, YAKE Mobio Jean Bosco, DJOMO Hyacinthe Cristal Meval et ADANGBO Pacôme.

Le Jeu trouble d’Abito Fidèle qui a engendré la crise

Ces quatre noms issus d’un Procès-Verbal ont été remis au secrétaire Général Aboulé Jean-Fidèle afin de les transmettre aux Dougbô habilités, selon les Us et Coutumes, à désigner le Chef du village. Curieusement, il remet la liste au Chef du village Dougbô sortant.

Inquiets du retard, les patriarches (Gnandô) interpellent les Tchagba pour en savoir plus. C’est ainsi que le SG Aboulé Jean-Fidèle, de façon solitaire, falsifie le PV, retire deux noms de la liste originelle, ceux de DJOMO Hyacinthe Cristal Meval et Yake Mobio Jean Bosco etles dépose chez les Gnandô qui contre toute attente désignent Abito Gaoua Abrah Joseph, Chef du village. C’est le début de la crise.

La Crise et la colère des Dougbô

La désignation d’Abito Gaoua Abrah Joseph, en qualité de Chef du village d’Abatta par les Gnandô a, tout naturellement, suscité la colère des populations, des Tchagba et des Dougbô.

Pour ceux-ci, le processus qui avait bien commencé a été finalement détourné par Aboulé Jean-Fidèle, en faveur d’Abito Gaoua Abrah Joseph, en retirant les prétendants sérieux au trône et en contournant les Dougbô, habilités selon les Us et Coutumes à désigner le Chef.

Les Dougbô ont donc rejeté ce choix des Gnandô.

La première venue du Préfet Toh Bi Vincent : « Le village n’a pas encore de Chef »

Face aux graves troubles engendrés par le non-respect de la loi coutumière en vigueur, le Préfet Toh Bi Vincent arrive à Abatta à la demande du Député-Maire Issouf Doumbia.

Selon ce dernier « Quand il (le Préfet) est arrivé à Abatta, tout de suite, il a demandé à voir le doyen. Je l’y ai conduit moi-même ; le Chef Djomo n’était pas là, l’autre Chef n’y était pas aussi. Nous étions au total cinq personnes à nous retrouver chez le doyen. Il était venu dire au Doyen qu’il voit ce qui se passe un peu dans le village mais l’invite à dire aux Tchagba qu’ils n’ont pas encore de Chef ».

La deuxième venue du Préfet Toh Bi Vincent : « Il faut reprendre le processus de désignation du Chef en prenant en compte toutes les candidatures »

La deuxième venue du Préfet l’a été à la demande même d’Abito Joseph. C’était le 11 mai 2020. Lors de cette rencontre qui s’est déroulée au bord de la Lagune, au domicile du Chef du village, Feu Abito Aké André, l’un des lieutenants d’Abito Joseph, en occurrence, TCHAPO Alphonse qui faisait office de Porte-parole a reconnu que la procédure de désignation du Chef, basée sur les Us et Coutumes, n’a pas été respectée. Il a par la suite sollicité l’aide du Préfet pour que les choses reviennent à la normale.

Le Préfet répondra, à cette requête, qu’il n’est pas celui qui désigne les Chef de villages. Et il finit par réitérer sa demande pour inviter les Tchagba à reprendre le processus de désignation du nouveau Chef selon les Us et Coutumes en vigueur en prenant en compte toutes les candidatures.

Ill a même demandé, selon Topé Christophe, que tout cela se passe sur la place publique.

C’est ainsi que le bureau sortant (Dougbô) s’est alors réuni le 12 août 2020 de 16h à 17h 30, en présence d’un Commissaire de Justice afin de statuer sur le choix du nouveau Chef du village, comme demandé par les autorités administratives.

Après délibération, le choix du conseil s’est porté sur la personne de Djomo Hyacinthe Cristal Méval. Aussitôt, l’Assemblée Générale des Dougbô, présidée par ODJOUE Sika Benjamin et dont le secrétariat de séance est assuré par DADIE Adjodan Blaise, s’est déportée auprès du Doyen d’âge du village, Nanan DADIE Laurent pour lui porter la nouvelle. Depuis cette période, Djomo Hyacinthe Cristal Méval a commencé à gouverner le village en attendant la consultation populaire. Tous les événements heureux comme malheureux étaient présidés par le Chef Djomo.

C’est dans l’attente de la consultation populaire que le Préfet Toh Bi Vincent a rendu sa démission à la tête de la Préfecture d’Abidjan. Appelé alors par la communauté villageoise à conduire une consultation populaire pour entériner le choix du village opéré selon les Us et Coutumes comme le déclare la loi N° 2014-428 du 14 juillet 2014 portant statut des Rois et Chefs traditionnels (« … les Chefs de villages sont désignés suivant les Us et Coutumes dont ils relèvent »), le Sous-préfet de Bingerville a plutôt choisi de faire fi de l’aspiration de la grande majorité de la population dressée derrière DJOMO Hyacinthe lors de cet événement (7 bâches pour les partisans de Djomo contre 1 seule bâche pour les partisans d’Abito)  pour délivrer, contre toute attente, l’arrêté à Joseph Abra Goua ABITO. Donnant ainsi libre-court aux affrontements violents.

Malgré son arrêté, le Chef désigné par l’administration ne peut gouverner, parce que rejeté par l’ensemble de la communauté villageoise pour avoir provoqué une effusion de sang et souillé le sol natal.

L’aveu du Préfet Goun François

Depuis sa désignation, Djomo Hyacinthe et ses frères de génération ont géré le village jusqu’à ce jour. Le 27 juillet 2023, le Préfet Goun François qui s’est rendu à Abatta, à la rencontre des deux camps a prôné le dialogue et la tolérance. Il a implicitement reconnu avoir été induit en erreur dans le dossier d’Abatta. « Seul Dieu ne se trompe pas », a-t-il dit.

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Léon SAKI

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