Christian Lattier-sculpteur de génie : l’Artiste que la Côte d’Ivoire n’a pas honoré (Enquête)

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Admiré hors des frontières, ridiculisé par la Côte d’Ivoire

Sculpteur de génie adulé par Picasso et Malraux, Christian Lattier est mort dans l’ombre. Plus de quarante ans après sa disparition, la mémoire de cet homme à la technique sculpturale unique  à la ficelle renaît peu à peu grâce à une poignée de fidèles dont le Pr Yacouba Konaté. Retour sur une injustice artistique et une amnésie nationale.

Enquête-Christian Lattier : l’Artiste que la Côte d’Ivoire n’a pas honorée; Ledebativoirien.net

À Dakar, il fut un roi. À Abidjan, un fantôme. Lorsque Christian Lattier rentre au pays en 1966, auréolé du Grand Prix mondial des Arts Nègres à Dakar au Sénégal, il ne s’attend pas à ce que la République qu’il voulait honorer lui ferme ses portes.

À l’aéroport Félix Houphouët-Boigny, aucun officiel, aucun journaliste, aucun drapeau pour celui que Malraux qualifiait de « hors concours, toutes disciplines confondues ». Ce jour-là, Lattier pleure. Et toute sa vie bascule.

Admiré par France, ridiculisé par la Côte d’Ivoire

Né en 1925 à Grand-Bassam, Christian Lattier quitte la Côte d’Ivoire dès 1935 pour étudier en France. Très vite, ses talents éclatent : à l’École des Beaux-Arts de Saint-Étienne, il rafle les premiers prix. À Paris, il se forme auprès des maîtres Paul Niclausse et Georges Saupique. Ses œuvres séduisent Picasso, Dalí et Bernard Buffet, avec qui il expose. Lattier se forge une identité artistique hors norme. Il ne modèle pas seulement la matière : il la transfigure.

À partir de ficelle et de fil de fer, il sculpte des figures totémiques d’une puissance mystique. Une panthère géante de 3,5 mètres le propulse au sommet en 1953, puis à Dakar en 1966. Sa technique est inimitable. ’’ La panthère sculpté par Christian Lattier était divine’’, fait savoir Roger Lattier, cousin de l’artiste avant d’ajouter que seule la Côte d’Ivoire administrative  avait du mal à reconnaitre le talent exceptionnel de l’unique maitre sculpturale qu’était Christian Lattier.

Une œuvre gigantesque, un homme seul

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Le Pr Konaté saluant Roger Lattier le cousin de Christian Lattier

Lattier vit en isolé dans son atelier de Cocody. Il y conçoit ses sculptures monumentales, dont Le Bélier, trop grand pour l’espace exigu et déplacé à Koumassi Prodomo. Il construit, seul, un atelier qui restera inachevé. « Tant qu’il n’était pas arrivé à ce qu’il voulait, il ne s’arrêtait pas », témoigne son cousin Roger Lattier. Son art, souvent jugé ésotérique, échappe à toute école.

La ficelle devient un canal mystique. « C’est par les esprits qu’il a reçu cette inspiration », raconte son neveu. Pour lui, La Panthère, gardienne divine dans la culture Godié, est un message spirituel à la nation ivoirienne. Mais ce message restera lettre morte. Cette image en dit grand sur l’isolement du peuple Godié,  en Côte d’Ivoire.

Le mystère derrière cette technique de la ficelle de Lattier et la Panthère

Plusieurs de ses disciples comme Anouma Joseph ont fait savoir que cette technique n’était pas facile. En faire sortir une panthère ou un bélier est étonnant. Un mystère derrière cette technique? C’est en 1964 qu’il fait la confidence à son neveu Roger Lattier qui affirme : « tout d’un coup, il a commencé à utiliser la ficelle qui trainait sur son lit et puis un matin, il a pris et il a commencé à sculpter à partir d’une aiguille. Pendant qu’il le faisait, un corps prenait forme. Il voulait faire quelque chose d’étonnant, de  gigantesque.

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L’œuvre la panthère géante de 3,5 mètres de Christian Lattier

C’est ainsi que le premier aspect d’une panthère se présente à lui », explique-t-il avant d’ajouter qu’il était impossible d’en refaire si on le lui demandait car l’œuvre est unique, lui confiait Lattier. Selon Roger Lattier, l’œuvre la Panthère est le fruit d’une inspiration divine : « Il m’a affirmé que cette image s’est imposée à ces gestes.

C’est par les esprits qu’il a reçu cette grande inspiration et les ficelles». Mais pour amour pour la Côte d’ivoire, il a exposé cette œuvre pour la reconnaissance de l’identité sculpturale en Côte d’ivoire. « En retour, la Côte d’Ivoire l’a rejeté laissant disparaître une marque, une identité, un caractère, une technique sculpturale sans pareille », affirme-t-il.

Un retour amer au pays natal

De retour en Côte d’Ivoire en 1962, Lattier veut transmettre. Il ambitionne de diriger l’École nationale des Beaux-Arts d’Abidjan. Mais les autorités lui opposent un « manque de diplômes ». Un prétexte selon son entourage. À Dakar, sa victoire ne change rien. La Côte d’Ivoire officielle le snobe, préférant célébrer d’autres artistes, moins radicaux, moins insoumis.

Selon son disciple Joseph Anouma, cette injustice le transforme : « Christian est devenu intraitable. Il ne voulait plus se soumettre. » En 1970, il brave même l’interdiction du gouverneur Konan Kanga en exposant, aux États-Unis, une œuvre portant son nom. La rupture avec le pouvoir est consommée. « Les gens voulaient se débarrasser de lui parce qu’il était devenu Impossible de le soumettre », confie-il.

Trois œuvres de Christian Lattier recherchées et plusieurs autres détruites

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L’œuvre les 3 âges de la Côte d’Ivoire œuvre sculptural de Lattier sauvegardé grâce aux actions du Pr Yacouba Konaté et ses partenaires

Le Prof. Yacouba Konaté, responsable des œuvres de Christian Lattier, a commencé les travaux de recherche sur vie et l’œuvre de Lattier en novembre 1980. Ce sont donc 15 de ses œuvres qui étaient installées à l’aéroport international Félix Houphouët-Boigny et autres endroits qui ont été détruites. Les œuvres de Lattier qui font encore d’actualité sont ‘’les trois âges de la Côte d’Ivoire’’, ‘’le voleur de coque’’, ‘’le bélier’’, ‘’la panthère’’, ‘’le premier jour d’Etienne’’. 

En 2001, lors des travaux de rénovation de l’aéroport d’Abidjan, le Palais de la culture, la Bibliothèque nationale et le siège du Marché des Arts du Spectacle d’Abidjan, ont été les points de chute des œuvres Lattier avant de  trouver asile le 21 février 2021 au musée Adama Toungara des Cultures Contemporaines à Abidjan dans la commune d’Abobo.

La mort d’un géant dans l’indifférence

Christian Lattier meurt en 1978, d’une crise, dans les bras de son disciple; « Quand il a fait sa crise, je suis rentré dans sa chambre à Cocody, je l’ai pris. Il mourrait, donc je l’ai pris de sa chambre et j’ai traversé son salon et il y avait trois marches, pour sortir. Mais en franchissant ces trois marches, il s’est transformé en une pierre lourde, plus lourde, je l’ai posé par terre car il était devenu très lourd » raconte-t-il, avant d’ajouter que;

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Christian Lattier

c’est bien « Grâce à l’aide des ouvriers qui balayaient, que le corps de Lattier a été mis dans un véhicule« . Transporté au CHU de Cocody, il s’éteint sans que la télévision nationale ne relaye la nouvelle. Étrangement, ce sont les États-Unis qui annoncent son décès. « La RTI ne l’a même pas mentionné », se désole Anouma. Ainsi s’éteint, dans un silence glacial, l’un des plus grands artistes ivoiriens du XXe siècle.

Le combat des gardiens de sa mémoire

Afin de réaffirmer une identité  sculpturale reconnue, une technique sans pareille et respectable dans le milieu des beaux-arts en Côte d’Ivoire, le professeur Yacouba Konaté, critique et intellectuel, est engagé dans une bataille de sauvegarde depuis 2000 des restes artistique de Lattier. Avec Joseph Anouma et feu James Houra, ils obtiennent les droits de protection auprès de sa famille.

En 2021, certaines de ses pièces trouvent refuge au musée Adama Toungara, après des années d’errance. Mais des dizaines d’œuvres sont perdues, détruites ou vandalisées y compris les sculptures monumentales de l’aéroport d’Abidjan. D’autres, comme Les Trois Âges de la Côte d’Ivoire, restaurées de justesse, témoignent du patrimoine en péril.

Le professeur Yacouba Konaté

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Joseph Anoma (Disciple de Christian Lattier) et le Pr Yacouba Konaté (Garant des œuvres sculpturales de Christian Lattier

Parlant de la reconnaissance inégale et du poste non accordé à Christian Lattier, le Pr Konaté déclarait : « À son retour en Côte d’Ivoire, Christian Lattier, malgré sa renommée, n’a pas obtenu un poste à la hauteur de ses ambitions. Il a enseigné à l’École des Beaux-Arts (devenue Esapad), mais n’a jamais été nommé directeur, bien que ce fût l’un de ses souhaits. »

Il a également abordé la question de sa faible rémunération. Selon Konaté, Lattier était « très mal payé » : son salaire mensuel se situait à l’époque entre 45 000 et 60 000 FCFA. Malgré cette rémunération modeste, Lattier vendait ses œuvres et jouissait d’une certaine reconnaissance ; certaines de ses créations se trouvent encore dans des ambassades, entre autres.

Concernant la destruction et la négligence de ses œuvres, le Pr Konaté déplore le « mauvais traitement » des créations de Lattier exposées dans des espaces publics. Il évoque notamment la destruction de quinze œuvres qui étaient installées à l’aéroport international Félix Houphouët-Boigny. Selon lui, bien que très respecté comme artiste, Lattier n’a pas été reconnu à sa juste valeur dans la sphère administrative des arts et n’a pas occupé le rôle qu’il estimait mériter au sein des institutions artistiques ivoiriennes.

Enquête-Christian Lattier : l’Artiste que la Côte d’Ivoire n’a pas honorée; Ledebativoirien.net
1ère édition des Arts Nègres emporté par Christian Lattier

Le Pr Konaté appelle donc à une réhabilitation institutionnelle, non seulement par la préservation de ses œuvres, mais également par une reconnaissance officielle, telle que le classement de ses œuvres ou la création d’un musée à sa mémoire.

Pour lui, il existe un problème de mémoire culturelle : l’État devrait assumer sa responsabilité dans la conservation du patrimoine artistique de Lattier. La maltraitance de ses œuvres reflète, selon Konaté, le manque de valorisation de certaines figures majeures de l’art africain par les institutions.

Une œuvre trop immense pour être oubliée

En 2023, la Fondation Giacometti et des institutions françaises se penchent enfin sur l’œuvre de Lattier. Mais pourquoi a-t-il fallu attendre quarante ans pour qu’on redécouvre cet homme que l’Europe avait déjà reconnu de son vivant ?

« Il fallait un Konaté pour que la mémoire de Lattier ne s’efface pas », insiste Roger Lattier. Et peut-être, aujourd’hui, une nouvelle génération de journalistes, critiques et artistes pour que l’histoire de Christian Lattier soit enseignée, diffusée et célébrée comme elle le mérite.

Distinctions de Christian Lattier

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1953 : Prix Chenavard pour La Panthère

1960 : Prix des Cathédrales de France & Médaille d’or de la ville de Taverny

1966 : Grand Prix mondial des Arts Nègres à Dakar

1961-1978 : Professeur à l’École nationale des Beaux-Arts d’Abidjan.

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Par Christian Guehi (Journaliste culturel / Critique d’art)


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