Par
MOÏSE GOURIHI TITIRO AVOCAT A LA COUR
L’expérience électorale trentenaire de la Côte d’Ivoire démocratique (1990-2020), a, régulièrement, vérifié le partage, équilibré, du suffrage national entre le PDCI-RDA, le FPI et l’ex-RDR, aujourd’hui refondu dans le RHDP. Cette tripartition, qui épouse les trois grandes aires communautaires du pays, a, depuis l’alternance du 11 avril 2011, trouvé dans le «rattrapage ethnique», un puissant et fécondant facteur supplémentaire de solidification et d’amplification, d’approfondissement et d’enracinement.
Mythe, simple quiproquo langagier ou réalité ?
En tout état de cause, les effets du « rattrapage ethnique » sont véritablement dévastateurs, d’autant plus que cette pratique plus ou moins fantasmée, s’exerce dans un milieu travaillé par deux facteurs aggravants. Le premier facteur réside dans l’existence d’une opinion publique et une conscience collective encore largement sous-éduquées et sous-informées, donc fragiles, crédules et constamment livrées aux rumeurs, aux réseaux sociaux et aux fake news. Le second facteur opère par le fait que, dans les larges couches les plus vulnérables de la société, que la politique néolibéral du gouvernement accule à la pauvreté, et parfois à la misère la plus abjecte, le « rattrapage ethnique » constitue du pain béni pour le vieil atavisme tribal et le repli identitaire.
I .DE LA TRIPARTITION GEOPOLITIQUE DE L’ELECTORAT NATIONAL ENTRE LE PDCI-RDA, LE FPI ET L’EX-RDR A L’ABSOLUE NECESSITE DE L’ALLIANCE.
1-Un Paysage Politique Ethnocentrique
Depuis 1960 et la naissance du nouvel Etat indépendant, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts de la géopolitique de la Côte d’Ivoire. Le pays s’est, peu ou prou, émancipé de l’ancien ordre des choses. Des générations sans nombre, qui n’ont pas connu la stricte obédience coutumière, ont accédé aux différentes facettes de la citoyenneté moderne, et adhéré à de nouveaux modèles culturels. De puissants et complexes courants migratoires, internes et exogènes, ont redistribué les populations sur l’ensemble du territoire national, en ont modifié la structure et remodelé les caractéristiques.
Des unions matrimoniales, traditionnelles ou légales, ont tissé des liens sociaux et juridiques irréversibles et indestructibles, entre les lignages et les clans, les tribus et les ethnies. L’école, la ville, le métier et la profession, les médias et autres facteurs de cohabitation et de communication de masse, ont accéléré les processus d’intégration nationale, d’évolution vers l’émergence d’un « Ivoirien nouveau » et de nouvelles identités collectives. Avançant à grands pas pressés, la détribalisation et la désethnicisation bousculent les vieilles allégeances politiques et sociales. A telle enseigne qu’au début des années 2000, un grand leader national n’a pas hésité à affirmer : « Dans dix ans, il n’y aura plus de vote ethnique ».
Il est encore loin, le temps qui connaîtra l’électeur-modèle sus-évoqué
C’est à cette multiplicité sociopolitique et culturelle vivace, profondément enracinée et décidée à résister, que depuis l’Indépendance l’Etat de Côte d’Ivoire s’efforce d’imposer des modèles institutionnels importés. Alors, les siècles et les millénaires se vengent du mépris que des élites gouvernantes faussement mondialisées, et en totale rupture de ban avec leur société, vouent aux traditions et aux valeurs de leur culture nationale.
Aussi, lorsque les élections se déroulent dans d’acceptables conditions de liberté, d’égalité et de transparence, les dynamiques et les significations qui opèrent sous cet antagonisme refoulé et nié, se mobilisent, s’exacerbent, et, au grand dam et pour la plus grande confusion de nos mentors occidentaux, imposent leur logique endogène, c’est-à-dire communautariste.
Ce scrutin a permis de mesurer le poids politique réel des trois grandes formations qui se disputent le suffrage des Ivoiriens. Contrairement à tous les autres votes (1995, 2000, 2010 et 2015), le PDCI-RDA, le FPI et le RDR, ont, pour la première et unique fois, compéti semble et dans la paix.
Ces élections départementales et communales de mars 2001, ont confirmé les trois traits caractéristiques du système partisan ivoirien ; à savoir :1) les trois grandes formations jouissent d’une réelle audience nationale ;2) dans sa traduction politique, cette audience pèse d’un poids pratiquement équivalent, soit 1/3 du vote national, chacune ;3) chaque parti est adossé à un bloc ethnoculturel, dont son leader est originaire.
Quant au RDR (aujourd’hui RHDP, grosso modo) d’Alassane Ouattara, il exerce son hégémonie totale dans le Nord «soudanais».Pis : il est plus que probable qu’un sondage sérieux, qui ferait ressortir l’origine ethnique des personnes interviewées, montrait que, même dans le milieu urbain, présumé plus «détribalisé » et plus «désethnicisé» par rapport au monde rural et paysan, le vote ou la position politique reste déterminé par le facteur ou le réflexe communautaire.
A suivre Acte II
Me MOÏSE GOURIHI TITIRO