Tiémoko Assalé-Le parlementaire, maire de Tiassalé et ancien satiriste de L’Eléphant déchaîné», est devenu le héraut de la lutte contre la hausse des prix de la téléphonie mobile.
Derrière ses lunettes s’esquisse le regard malicieux de celui qui a réussi son coup. Un de plus. Dans sa villa d’Abidjan, où il passe ses week-ends, Tiémoko Antoine Assalé, député-maire de la ville de Tiassalé, située à une centaine de kilomètres au nord de la capitale économique ivoirienne, joue avec ses enfants, ses deux téléphones fièrement éteints.
Pour la deuxième fois en avril, l’ancien journaliste a appelé au boycottage des opérateurs téléphoniques Orange et MTN, Moov étant cette fois-ci épargné. Une nouvelle « manifestation numérique » lancée avec des membres de la société civile ivoirienne entre 10 heures et 15 heures, du 15 au 18 avril, qui a rapidement fait reculer les opérateurs accusés de s’être « entendus » pour baisser le volume de données incluses dans leurs forfaits 4G sans en baisser les prix. Un acte « illégal », fulmine celui qui s’était fait connaître des Ivoiriens comme fondateur en 2011 du journal d’investigation L’Eléphant déchaîné.
Si, selon le député, le groupe marocain Moov puis le sud-africain MTN ont donné des signes rassurants en la matière, le groupe français Orange a prévenu que, pour des raisons techniques, il lui faudra plusieurs semaines pour revenir aux anciens tarifs. « Les opérateurs devront rembourser les clients », juge le député, qui menace de faire « fermer les points de vente puis brûler les puces Orange » si les consommateurs ivoiriens n’étaient pas entendus.
Pour Tiémoko Antoine Assalé, cette « entente » entre les opérateurs serait l’œuvre d’un « cartel » mené par le groupe français qui a su « étendre ses racines jusqu’au cœur du système politique ». Il cite à cet effet l’exemple de Roger Adom, ancien directeur général adjoint d’Orange et ex ministre de l’économie numérique et des télécommunications et demande qu’une enquête parlementaire soit menée en la présence des opérateurs, du régulateur et des ministères concernés. « Il y a trop de conflits d’intérêt dans cette affaire : qu’ils viennent devant la nation, comme Facebook et les grands groupes l’ont fait aux Etats-Unis », dit-il.
« Chape de plomb »
A 47 ans, Tiémoko Antoine Assalé revendique son « indépendance » vis-à-vis de l’Etat et des puissances économiques. Ses premières armes dans la dénonciation de la corruption, il les a faites dans le journal Le Nouveau Réveil, après avoir observé par lui-même les pratiques du concours de l’Ecole nationale d’administration de Côte d’Ivoire.
Pour avoir notamment traité le procureur de la République de l’époque ainsi que d’autres magistrats de « corrompus jusqu’à la moelle épinière », il est condamné en 2008 à un de prison ferme. Cette expérience carcérale lui permet de découvrir le journal français Le Canard enchaîné, dont il fondera le cousin ivoirien L’Eléphant déchaîné, avec le même goût pour la satire et les révélations sur les politiques de tous bords. L’hebdomadaire n’existe plus en version papier depuis près d’un an, mais devrait bientôt être disponible en ligne avec l’ambition de suivre le modèle de Mediapart.
Sa proposition de loi la plus commentée sans jamais avoir été débattue est celle du retour d’une limite d’âge de 75 ans pour se présenter à l’élection présidentielle. Si elle venait à être adoptée, celle-ci éliminerait d’office les trois derniers présidents du pays – Alassane Ouattara, Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié –, de la présidentielle prévue en 2025, et libérerait l’espace politique de « la chape de plomb qui pèse sur toutes les générations ».
« Aucun appui du pouvoir »
Acteur national qui a proposé d’allonger la durée du congé paternité et travaille sur l’encadrement de l’avortement – l’IVG n’est autorisé qu’en cas de viol ou de mise en danger de la santé physique de la femme –, M. Assalé s’enorgueillit aussi de ses victoires locales. A Tiassalé, il a fait déguerpir les orpailleurs clandestins du fleuve Bandama, demandé à la Compagnie fruitière qui produit et exporte des bananes de revoir ses méthodes de traitement par pesticides, fait baisser les frais de scolarité, une décision communale ensuite reprise au niveau national. Le maire sera de nouveau candidat dans sa commune lors des municipales de septembre, « face à un candidat RHDP, le parti au pouvoir, qui “dépense sans compter” » pour être élu, dit-il, agacé.
Tiémoko Antoine Assalé dit n’avoir rencontré le président qu’une seule fois en 2011 et sait qu’il appréciait son journal. « Lorsqu’il était seulement journaliste, il était admiré par le chef de l’Etat, assure Hervé Makré, ancien rédacteur en chef de L’Eléphant déchaîné. Mais il ne bénéficie d’aucun appui du pouvoir. Je peux vous l’assurer, il n’a de comptes à rendre à personne puisqu’il s’est fait tout seul. » « Il a toujours été droit dans ses bottes, toujours du côté du peuple », renchérit Marie-Paule Okri, militante féministe qui fut l’une des premières à initier le boycottage numérique.
Entre mobilisation citoyenne, action parlementaire et gestion de sa commune, le député-maire n’exclut pas de briguer un jour la fonction suprême. Il lui faudra avant cela être réélu lors des municipales.
Par Youenn Gourlay(Abidjan, correspondance Le Monde Afrique )
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