«La justice change les plans de Vincent Bolloré mais pas son départ d’Afrique »
MANAGEMENT OPAQUE DU BIG BUSINESS EN AFRIQUE
L’absence d’anticipation des dirigeants africains dans la chaîne de valeur «logistique en Afrique » a conduit à des performances logistiques africaines non optimales. Le problème est que cela ne profite pas aux Peuples africains. Les impôts, taxes et redevances divers qui « rentrent » dans les caisses de l’Etat sont souvent sous-évalués, quand ils « rentrent » …
LOGISTIQUE EN AFRIQUE : MANAGEMENT FAMILIAL OCCIDENTAL FACE AU MANAGEMENT DE LA FACILITÉ DES RICHES AFRICAINS LIÉS AU POUVOIR EN PLACE
Face à l’impossible évitement de la comparution devant un tribunal correctionnel en France, Vincent Bolloré, breton de France, vient démontrer son sens aigu de l’agilité en management international. Tous les actifs de la société Bolloré Africa Logistics viennent officiellement d’être vendus à l’armateur italo-suisse Mediterranean Shipping Company (MSC1) pour 6,3 milliards d’Euros, dont 5 milliards d’Euros net pour le Groupe Bolloré. Gianluigi Aponte, le père, est le fondateur de MSC. C’est son fils Diego Aponte qui gère le groupe depuis 2014 et a une réputation de ne jamais publier de chiffres sur ses activités et encore moins sur ses résultats.
Mais pourquoi autant de précipitation ? Un besoin de transmission du vivant à ses ayants-droits (enfants) peu disposés à continuer dans un style de management opaque et basé sur des relations personnelles avec des dirigeants africains autocrates et peu respectueux des droits humains, des droits des peuples et instituant l’impunité des crimes en général, les crimes économiques en particulier ?
Une partie de la réponse pourrait être trouvée au cours du procès en correctionnelle en France pour corruption au Togo s’il a lieu. La gravité des faits reprochés a conduit la justice française à conclure que la procédure choisie du « plaider coupable » était inadaptée par essence, qu’il était « nécessaire » que ces faits, passibles d’un maximum de cinq ans de prison, soient jugés par un tribunal correctionnel.
Mais où sont les riches Africains qui auraient pu gérer en Afrique les infrastructures portuaires et logistiques ?
Mais le temps des arrangements personnels avec les Chefs d’Etat ou avec des militaires affairistes africains est en phase terminale compte tenu des exigences d’un monde multipolaire avec des opérateurs de pays émergents de plus en plus conscients de leurs droits et des enjeux de puissance, comme la Chine… Mais, l’anticipation des dirigeants africains a été absente et souvent, ces derniers semblent avoir conservé la méthode du management de la facilité en optant pour le plus «offrant» pour la défense de leurs intérêts et moins l’intérêt des Peuples africains.
ABSENCE D’ANTICIPATION DES DIRIGEANTS AFRICAINS DANS LA LOGISTIQUE
Sauf qu’il s’agit là d’un indicateur qui témoigne de la vision court-termiste des dirigeants africains qui n’ont ni vu venir l’importance du secteur logistique et surtout la valeur ajoutée et la richesse qui devaient revenir à l’Afrique et qui ont été cédées à des sociétés privées, sur la base de relations personnalisées, et souvent manquant de transparence, quand il ne s’agit pas de fraudes difficilement prouvables compte tenu de l’opacité des prises de décisions et des informations publiques.
Il s’agit pour une logistique performante de pouvoir mettre en place des infrastructures, des institutions, des transporteurs, des procédures, et du personnel non bureaucratique pour mettre à disposition dans un temps rapide sinon optimal entre deux endroits géographiquement déterminés, un bien ou une marchandise ou un service au bon moment, au bon endroit, au moindre coût ou le plus compétitif, et sans conséquence sur l’environnement et la biodiversité, ce tout en conservant la qualité du bien transporté, entreposé et distribué.
L’efficience passe aussi par la digitalisation des opérations logistiques. Des progiciels informatiques et des systèmes experts spécialisés en logistique sont en train de remplacer les humains et de réduire la bureaucratie et les retards causés par les « roitelets de circonstances », inconscients de leurs rôles négatifs dans l’ensemble de la chaine de valeur logistique en Afrique. La performance logistique africaine, au regard de cette définition, n’est pas performante.
UNE PERFORMANCE LOGISTIQUE AFRICAINE NON OPTIMALE
Il faut reconnaître que pour de nombreux dirigeants africains, la notion de performance ne prend de la valeur que lorsqu’il s’agit de mesurer les « rentrées» dans leurs escarcelles personnelles ou celles de leurs familles ou encore celles des affidés clientélistes. Il n’est pas possible de comprendre la notion de performance logistique sans une pensée holistique en termes d’efficience. Or, le logiciel de pensée de la plupart des dirigeants africains, souvent autant par entêtement que par manque d’intelligence, se limite à optimaliser tout ce qui leur permet de s’éterniser au pouvoir en s’organisant pour bloquer l’alternance politique.
La performance logistique a pour objectif principal en termes d’efficience d’assurer une forme d’optimalité entre les moyens disponibles engagés à savoir les coûts d’une part et la capacité à organiser une efficacité fonctionnelle en limitant l’impact négatif, les fameuses externalités, sur l’environnement, ce dans un environnement géographique mondialisé.
Concrètement, il s’agit de gérer au mieux les flux physiques de marchandises et services entre des acteurs économiques dans le cadre d’agglomération de chaines de valeurs. La complexité, l’impératif de l’agilité, l’urgence de la réactivité supposent une maîtrise qui a souvent conduit les chefs d’Etat africains, souvent complexés ou agissant comme des «sous-préfets d’intérêts étrangers», à aller rechercher les compétences à l’étranger, souvent sous forme de contrats de sous-traitance ou de concession de longue durée renouvelables et sans transparence.
TRANSMISSION D’UNE PARTIE DES RICHESSES GÉNÉRÉES PAR BOLLORÉ AU TOGO EN ANTICIPATION
La vérité est que les investissements importants à consentir pour une amélioration de la performance logistique dans les espaces portuaires en Afrique, a conduit à engager la garantie ou la contre-garantie des Etats africains, sans contreparties vérifiables en termes de contrôle sur les activités de ceux qui se sont retrouvés adjudicataires sans véritables appels d’offres transparents. Les bénéficiaires de ces garanties se sont retrouvés pris dans une forme de spirale du «donnant-donnant» qui a conduit à promettre des «retours sur favoritisme ou retours pour préférence clientéliste» qui ont été allègrement confondus avec des «retours sur investissement».
En effet, dans le cas du Togo, une partie importante des investissements portuaires provenant d’investissements publics allemands ont transité par le budget du Togo. Autrement dit, le Togo a simplement favorisé des opérateurs économiques étrangers dans des conditions opaques, en n’oubliant pas d’assurer une participation d’acteurs liés au pouvoir tant dans les ressources humaines que dans l’actionnariat des sociétés concessionnaires, qui n’ont pas manqué de créer de nombreuses sociétés écrans ou paravents pour démultiplier l’opacité du montage financier.
Mais, la vérité finit toujours par se savoir, surtout quand, dans le cas des relations entre Vincent Bolloré et Faure Gnassingbé au Togo, la justice française a réussi le tour de force de perquisitionner le siège du Groupe Bolloré à Paris, à la recherche principalement de «fraudes fiscales». La vente précipitée d’une partie de l’empire Bolloré Logistics Africa relève autant d’un management Agile que d’une anticipation si tout devait « tourner au vinaigre » au cours d’un procès en correctionnelle. La transmission du vivant est toujours plus intéressante fiscalement que dans toutes les autres conditions à savoir : après un décès ou suite à une décision de justice.
CLARIFICATIONS DEMANDÉES PAR LA JUSTICE FRANÇAISE SUR TOUTES LES RICHESSES GÉNÉRÉES PAR BOLLORÉ AU TOGO EN RÉSEAUX
Rappelons que la justice française enquête sur «les conditions d’obtention en 2010 de deux terminaux à conteneurs par le Groupe Bolloré à Lomé (Togo) et à Conakry (Guinée)». En fait, les allégations portent sur le fait que «Vincent Bolloré» aurait «utilisé sa filiale de communication Havas pour faciliter «l’arrivée au pouvoir d’Alpha Condé en Guinée» et la «réélection de Faure Gnassingbé en 2010 au Togo via des missions de conseil et de communication sous-facturées».
Selon la justice française, les faits reprochés auraient «gravement porté atteinte à l’ordre public économique» et «porté atteinte à la souveraineté du Togo». C’est à ce titre et pour permettre à Vincent Bolloré de clarifier l’opacité de sa relation avec l’exécutif togolais, Faure Gnassingbé, que le tribunal exige une tenue d’un procès en correctionnelle, ce qui permettrait en parallèle, à des organisations de la société civile de se porter partie civile.
Le ministre togolais des transports, Ninsao GNOFAM, a précisé à ce qui tient lieu d’Assemblée nationale togolaise en juin 2018 que le Groupe Bolloré aurait réalisé l’ensemble des investissements «sur fonds propres de plus de 150 milliards de Fcfa pour le 3e quai» et que le Groupe MSC (Lomé Container
Selon ce Ministre, «le Togo n’est pas concerné par l’instruction en cours en France» et serait prêt à coopérer avec les autorités judiciaires françaises si une demande est faite. «Nous n’avons rien à nous reprocher».
En réalité, l’Etat togolais n’est pas concerné par la procédure juridique du plaider coupable, mais risque de l’être dans le cadre d’un procès en correctionnelle, ou indirectement dans le cadre d’un autre procès auprès de la Cour de Justice de la Communauté économique des Etats d’Afrique occidentale (CEDEAO) mettant en cause la légalité constitutionnelle du Président du Togo.
URGENTE TRANSPARENCE SUR LES 1,3 MILLIARDS D’EUROS DES « ACTIONNAIRES MINORITAIRES PRIVÉS » ET LES DETTES EN COURS RECONNUES PAR LE GROUPE BOLLORÉ
Avec l’absence de risque de change avec la monnaie Franc CFA non convertible en devises étrangères sans l’autorisation des autorités françaises (Trésor Français), les opérations de ce secteur logistique dans les ports et les containers avec des acteurs compétents, intelligents et surtout visionnaires en termes d’anticipation de génération de valeurs ajoutées et de richesses ne pouvaient qu’être extrêmement rentables, surtout qu’avec la garantie ou la contre-garantie de l’Etat, l’opérateur n’avait quasiment aucun risque.
Si Le Groupe Bolloré a empoché 5 milliards d’Euros, la question serait de savoir, si la transparence prévaut quant à la composition des 1,3 milliards d’Euros qui comprend autant des «actionnaires minoritaires privés» et les dettes en cours reconnues par le Groupe. Toutes les dettes en contre-garanties à la charge des Etats africains risquent de ne jamais apparaître. Quant aux noms des actionnaires minoritaires, il faut espérer, sans se faire d’illusion, que les noms -ou plutôt les prêtes noms- des chefs d’Etat africains apparaissent au grand jour. Il s’agit d’un point crucial qui pourra être soulevé par les parties civiles lors du procès en correctionnelle de Vincent Bolloré, surtout que lors des perquisitions, ces informations, sous scellés, doivent être disponibles.
FRANC CFA: TRANSFERT VERS LA FRANCE SANS RISQUES ET SANS VÉRITABLES CONTRÔLES
Si la monnaie utilisée n’était pas le Franc CFA, monnaie fabriquée et sous contrôle de la France, les transferts des «retours sur investissements» et des «dividendes» ou autres facilités effectuées en France sans risques et sans véritables contrôles auraient été plus compliqués, surtout que le Togo est de plus en plus connu comme un espace où «le fisc togolais perd chaque année environ 22 milliards FCFA [(33,4 millions d’Euros) NDLR] à cause des déclarations «abusives » de l’impôt sur les sociétés par les multinationales».
En 2021, le Togo a perdu un montant estimé à 23,1 millions de $EU, soit près de 2,3 % des 1 milliard de dollars de recettes fiscales, soit environ un manque à gagner et donc une perte sèche de 3 dollars américain par citoyen (soit 1852 FCFA par personne13) sur les 8 millions d’habitants du Togo. La traçabilité de la destination finale est difficile à identifier car l’essentiel de ces transferts irréguliers en 2021 transite par les quatre pays principaux suivants : Les Emirats Arabes Unis pour 41 %, la Chine pour 17 %, le Liban pour 13 % et l’Afrique du sud pour 9 %15.
C’est ainsi que le score estimant le niveau de transfert dans l’opacité est de 100 % en cas de secret total, il s’élève pour, Les Emirats Arabes Unis à 78, la Chine à 60, le Liban à 64, l’Afrique du sud à 56, les Etats-Unis à 63, et la France à 5016. En 2022, selon toujours Tax Justice Network, la transparence fiscale aurait permis d’éviter qu’un quart de l’argent des contribuables soit perdu à cause des abus des entreprises. Le problème est qu’en Afrique en général, au Togo en particulier, les agents au sommet de l’Etat ou leurs représentants sont parties prenantes de ces entreprises, spécialisées dans les opérations de transferts illicites et d’évasion fiscale.
LA JUSTICE PEUT AIDER À RÉDUIRE L’OPACITÉ DU GRAND BUSINESS EN AFRIQUE
Néanmoins, il faut bien constater que les dirigeants africains qui ont cédé leurs ports et autres concessions en s’assurant de la sauvegarde de leurs intérêts ou ceux de leur clan aux dépens des populations africaines devront un jour répondre de leurs choix. Car il ne s’agit là nullement d’un choix stratégique de management, mais bien d’un choix unilatéral, anti-démocratique d’enrichissement aux dépens du Peuple africain.
Comment passer du management opaque dans la logistique en Afrique partiellement «imposé» grâce à l’impunité institutionnalisée par certains chefs d’Etat africains, au management participatif, demeure un défi, voire une énigme. A moins que la justice africaine ne vienne prendre le relais de la justice française ! » Dr. Yves Ekoué AMAÏZO, Directeur général, Afrocentricity Think Tank.
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