« Un personnage haut en couleur sur la scène politique africaine « -Décryptage par Douglas Mountain
L’homme a pris de l’ascendance sur les autres présidents africains, surtout ceux d’Afrique francophone qu’il intimide indéniablement. Erigé en modèle, plébiscité par la presse, le Président Kagamé est un personnage haut en couleur sur la scène africaine. Il est aujourd’hui une icône en matière de politiques économiques, un homme qui symbolise le résultat.
Le bilan économique du Président Kagamé Paul
On en parle beaucoup dans les médias. C’est exact, l’économie rwandaise est en forte expansion depuis les années 2000. Mais ce qu’on oublie, cette prospérité ne date pas d’hier.
Le génocide a eu un impact dévastateur, traumatisant, massif, mais conjoncturel. Faisons le parallèle avec l’Allemagne. En 1945, ce pays était dévasté, rasé, ruiné, coupé en deux. Cinq années après, en 1950, le pays est redevenu un géant. On a parlé de miracle allemand, ce miracle ne fut pas attribué au chancelier en place à l’époque, mais bien au peuple allemand, un peuple discipliné, ingénieux et travailleur. La guerre n’a pas modifié ces paramètres. Ce schéma s’applique au Rwanda. Les fondamentaux n’ont pas été affectés. Les terres sont restées fertiles, et la population travailleuse, commerçante. Les activités sont reparties dès la paix retrouvée.
D’autre part, le Rwanda continue de faire l’objet d’aides massives (30% de son budget annuel). Le pays a longtemps pillé l’est de la RDC (il exporte certains minerais qui ne se retrouvent pas dans son sous-sol). Le Rwanda bénéficie de facilités tarifaires vers les USA (en plus de l’AGOA), il faut aussi mentionner divers autres programmes de la Banque Mondiale à son égard. Enfin comme dans toute dictature, nous avons la stabilité. Tous ces facteurs conjugués créent la croissance.
Le Rwanda : le pays « moins corrompu » d’Afrique?
Là encore il faut regarder les choses de près. Il y a quelques années, le nom de la première dame fut cité dans le détournement de l’aide occidentale pour la lutte contre le sida à travers la fondation qu’elle dirige. On soupçonna le médecin personnel de Kagamé Paul d’être le responsable des fuites. Il fut arrêté à maintes reprises, et finalement abattu dans un commissariat, « en tentant de désarmer un policier » selon le communiqué officiel.
En fait au Rwanda tout est mis en œuvre afin que les investisseurs obtiennent rapidement les documents exigés. Cette célérité donne l’impression d’une absence de corruption. Mais une fois dans la place, l’écaille leur tombe des yeux. Dans ce pays la justice est aux ordres, or une justice indépendante est la condition première dans la lutte contre la corruption.
Ce qui montre l’état de dégradation morale de la population. Enfin en 2019, la Banque mondiale accusa ouvertement le Rwanda de mentir sur ces données économiques, ce qui fit grand bruit. Comme toujours, le Président Kagamé a pris l’offensive pour montrer que son pays n’avait rien à cacher. Pourtant les médias et ONG ont interdiction de parler des problèmes de faim, de chômage, de pauvreté et de mendicité dans le pays. Les mendiants sont pourchassés et emprisonnés à Kigali, où il est interdit de cuisiner avec du charbon de bois ! Le Rwanda doit absolument être présenté sous le meilleur aspect possible !
Le Rwanda : champion de la parité homme / femme ?
Ainsi aux postes importants, il convient de placer des femmes, elles ne posent jamais de question et obéissent toujours docilement. Alors que les hommes, du fait de leur orgueil naturel, représentent toujours un « danger ». La hantise de tout dictateur est de susciter l’émergence d’un rival potentiel. La promotion des femmes permet ainsi au Président Kagamé de mieux tenir les choses.
L’auteur de la vidéo a été identifié mais pas inquiété par la police. C’est dire sa proximité avec le pouvoir, c’est dire le peu de considération de Kagamé envers les femmes, c’est dire enfin l’état d’âme de l’homme. Car cette jeune dame d’une trentaine d’années, assez inconnue, ne pouvait en aucun cas remporter ce scrutin. Mais le fait même qu’elle ose se présenter était inacceptable pour le président Kagamé !
Un régime athée
Dès sa prise du pouvoir en 1994, le Président Paul Kagamé accusa ouvertement l’Eglise catholique d’avoir été « mêlé » au génocide, et exigea des » excuses « . En 2016, il fut reçu par le Pape au Vatican qui présenta les « excuses » de l’Eglise, ce qui n’a pas pour autant réchauffé ses rapports avec le clergé rwandais.
En Décembre 2017 la foudre a frappé un bâtiment qui abritait une Eglise, faisant 16 morts. Le Président Kagamé, tel « Saul de Tarse », avec la volonté d’en finir avec la question, ordonna aussitôt la « fermeture » de plus de 7 000 Eglises à travers le pays, pour non-respect des « normes de sécurité ».
Dans l’histoire contemporaine de l’Afrique, c’est la première fois que la liberté religieuse est foulée au pied dans une telle ampleur. L’ex- Président Omar El Béchir du Soudan, souvent décrit comme hostile aux populations chrétiennes de son pays, ne s’était pas montré aussi dur. Kagamé Paul est désormais dans le viseur des congrégations américaines, très présentes en Ouganda voisin. Elles ont une influence sur la politique étrangère des USA. L’homme risque gros s’il est étiqueté en tant ‘’ persécuteur ’’.
Le Rwanda : une dictature » modèle » ?
Pas une grève, pas un sit-in, pas une marche, aucune revendication sociale n’est tolérée. Les opposants à l’extérieur sont systématiquement assassinés. Le dernier Roi du Rwanda est décédé en exil aux USA en 2016, il avait interdiction de rentrer. L’interdiction reste valable pour son successeur qui vit à Londres. La constitution a été modifiée afin que Paul Kagamé puisse rester en place jusqu’en 2036 ! Bien qu’elle limite à nouveau le nombre de mandats, on voit difficilement ce qui pourra empêcher Kagamé Paul d’être président à vie.
Le Président Kagamé Paul : un » grand homme » ?
Le Président Kagamé a déclenché deux guerres en RDC. La première a conduit à la chute du maréchal Mobutu. La seconde ne lui a pas permis de renverser le Président Kabila père. Ces guerres ont mobilisé les armées de plusieurs pays, et fait des centaines de milliers de morts, de déplacés, de disparus. Plus tard, il va soutenir des mouvements armés dans l’Est de la RDC (CNDP, M-23, …).
N’oublions pas les milliers de morts suite à sa violente prise du pouvoir. Enfin, l’identité de ceux qui ont abattu l’avion du Président Juvénal Habyarimana n’a toujours pas été élucidée, bien que les indices convergent tous vers Paul Kagamé, à l’époque le » patron » du Front Patriotique Rwandais (fpr). Ce crime profita pleinement à ses troupes, qui ont exploité la désorganisation de l’armée gouvernementale suite à la disparition brutale de son chef. Le génocide qui s’est produit est la conséquence directe de la disparition du Président Habyarimana.
Faire l’impasse sur cela, l’encenser, le plébisciter, tout ramener à des questions macroéconomiques comme le font actuellement les médias revient à préparer le lit à de nouveaux cataclysmes, car les jeunes générations vont s’en inspirer. Est-ce le modèle qu’il faut leur présenter ?
ledebativoirien.net
Douglas Mountain