Ce qui a déterminé l’attitude du reste de l’armée dans le putsch
A qui revient la paternité du premier putsch en Afrique Francophone ?
Depuis 2020, plusieurs putschs se sont enchaînés en Afrique Occidentale avec une « facilité apparente », donnant l’impression d’événements qui inévitablement aboutissent à la chute du régime en place. En réalité c’est une perception erronée. Un putsch n’a rien d’un « événement fatal ». L’issue dépend non pas des armes, mais se joue sur le terrain de la réactivité du pouvoir en place, et surtout de la psychologie.
Une armée est toujours en capacité de briser un putsch quel qu’il soit
Une mutinerie ou un putsch est toujours l’œuvre d’un petit groupe, d’une poignée d’officiers, pour une raison toute simple. Plus il y a de monde impliqué dans la planification, plus le secret sera difficile à garder. Ainsi les putschistes sont toujours une minorité au départ. Le reste de l’armée ne se rallie que devant le fait accompli.
Mais l’armée peut aussi ne pas se rallier, et dans ce cas, ne serais-es-ce que numériquement, elle est toujours en capacité de briser un putsch quel qu’il soit. C’est un point qu’il faut bien garder à l’esprit. Il est rare, voire quasiment impossible que des putschistes prennent le pas sur le reste de l’armée lorsque des combats sont engagés. Car l’armée a pour elle le nombre. Pourtant très souvent, elle n’intervient pas. Qu’est ce qui l’explique ?
Toute armée hésitera à « tirer sur elle-même », c’est-à-dire engager des combats internes. Lorsqu’un groupe d’officiers tente de renverser le pouvoir, l’armée aura tendance à se ranger derrière les « nouveaux maîtres », plutôt qu’à rétablir l’ancien régime, car cela reviendrait à combattre contre elle-même. C’est ce « blocage psychologique » qui fait réussir les putschs.
Lorsque l’armée « ne bouge pas », cela signifie de facto un ralliement. Mais lorsqu’elle décide d’intervenir, le putsch est brisé. En réalité, un putsch est un coup de poker, les auteurs font le pari que l’armée va se ranger à leurs côtés, ils avancent dans le vide. Le dernier mot revient toujours à l’armée. Ce qui s’est passé au Bénin le 07 Décembre dernier l’illustre parfaitement.
Ce qui détermine l’attitude du reste de l’armée dans un putsch
Immédiatement après un putsch, un « vide » s’installe, le pouvoir est pris de court. C’est pendant ce moment que l’effet de surprise joue pleinement en faveur des putschistes car ils sont à l’initiative. Il est important pour le pouvoir de ne pas laisser ce »vide » s’installer, s’il veut reprendre la main. Il doit absolument « se signaler ».
Les troupes doivent avoir la certitude qu’elles ne vont pas se battre dans le vide, pour un pouvoir qui n’existe plus. Elles doivent clairement percevoir que les autorités sont toujours en place, que la chaîne de commandement tient toujours, alors elles obéiront non pas aux « nouveaux maîtres », mais aux « anciens ».
Au Bénin, dès lors que les mutins n’ont pu mettre la main sur le Président talon au terme de combats contre la garde républicaine, le putsch avait échoué, parce que cela signifiait que le pouvoir était toujours en place. Il était évident que les autres unités allaient obéir, non aux putschistes, mais au pouvoir en place.
Le temps est un facteur déterminant qui peut jouer pour un camp comme pour l’autre. Généralement, il joue contre le pouvoir, parce qu’il permet à la confusion de gagner l’armée, qui ne sait plus à quel camp obéir. Il faut éviter que la « confusion » ne gagne les esprits.
Ainsi le pouvoir doit se signaler d’autant plus rapidement que dans les tous premiers moments, les putschistes bénéficient certes de l’effet de surprise mais n’ont pas encore l’armée avec eux. Ainsi si des combats s’annoncent ou même sont engagés, ils vont reculer, parce qu’ils savent qu’ils sont minoritaires, et donc qu’ils seront écrasés si des combats s’engagent ou se prolongent.
Ce qui est fatal aux régimes en place
L’armée va se ranger derrière le camp qui paraît dominer l’autre, c’est-à-dire qui donne des ordres. C’est ici une perception qu’il faut donner aux troupes. Si le « vide » persiste, si aucune initiative ne vient du pouvoir en place, c’est qu’il n’existe plus, alors l’armée va naturellement se ranger derrière les putschistes qui deviendront par défaut les « nouveaux chefs ».
Si des initiatives visibles sont prises par le pouvoir, c’est qu’il est toujours en place, alors l’armée va lui rester fidèle. C’est ce qui s’est passé au Bénin. Les combats devant la présidence ont montré au reste de l’armée que le pouvoir du président Talon restait en place.
Même dans l’hypothèse où les putschistes détiendraient le président en otage, la partie ne serait pas forcément gagnée pour eux. Contrairement à ce que l’on pense, ils n’oseront pas s’en prendre à lui si l’armée se décide à lancer un assaut pour le libérer, parce qu’il sera leur « assurance vie « . Ils tenteront de négocier une porte de sortie. Encore une fois, tout se joue sur le terrain psychologique. Un putsch n’est pas un événement qui aboutit fatalement au renversement du régime en place.
Le Colonel Pascal Tigri, l’homme qui a tenté de renverser le Président Talon
Il s’est lancé dans un véritable coup de poker qui a lamentablement échoué.
Dans le putsch manqué au Bénin du 07 Décembre dernier, on a parlé du rôle du Nigeria et de la France, qui ont selon les titres de la presse, sauvé le régime du président Talon. Il faut nuancer cette lecture des faits.
Le putsch a commencé dans la nuit du samedi au dimanche 07 décembre après minuit. Tout est parti du camp militaire de Togbin situé en plein cœur de la capitale Cotonou. Les putschistes se sont emparés de blindés. Il s’agissait ensuite pour eux de neutraliser le haut commandement, c’est-à-dire arrêter les principaux officiers de l’état-major.
Vers 02 heures du matin, ils se sont rendus chez le directeur du cabinet militaire du président, certainement un homme clé de l’appareil. Puis ils ont arrêté le commandant de la garde nationale, et le chef d’État-major de l’armée de terre. Les autres hauts officiers, certainement informés, se sont mis à l’abri. Rappelons que le chef d’État-major général était hors du pays.
Vers 05 heures du matin le Dimanche 07 décembre, ils se sont déportés à la présidence où la garde républicaine les attendait. Les combats ont duré environ deux heures. Ils ont alors battus en retraite, pour se diriger à la télé et lire leur communiqué vers 08 heures. Mais ils en furent délogés moins d’une heure plus tard.
A 11 heures, le ministre de l’intérieur annonçait à la télé l’échec du putsch. Les rebelles s’étaient entre temps repliés sur la base de Togbin d’où ils étaient partis, la base fut encerclée par les forces loyalistes. Entre 17 h et 19 heures, des avions nigérians ont effectué des frappes sur cette base.
Dans la journée ont débarqué des troupes nigérianes et ivoiriennes, et plus discrètement françaises. Notons qu’un avion français a aussi survolé Cotonou toute la journée, communiquant aux forces loyalistes des informations sur la position des insurgés.
On le voit, le gros du travail a été effectué par les troupes béninoises entre 05 heures et 07 heures du matin. Les insurgés ont battu en retraite devant la présidence, parce que d’autres unités fidèles au régime commençaient à affluer pour prêter main forte à la garde républicaine. C’est là que s’est jouée l’issue du putsch. Si l’armée béninoise s’était rangée derrière les mutins, ceux-ci auraient eu le dessus devant la présidence.
Les nigérians et français sont intervenus bien plus tard, dans le cadre du ratissage, après l’annonce à 11 heures du ministre de l’intérieur sur l’échec du putsch. Ainsi donc Patrice Talon fut sauvé par son armée. Ce qui montre encore une fois que le dernier mot dans un putsch revient toujours à l’armée, et non aux putschistes.
Image forte des pères des coups d’Etats en Afrique
A qui du maréchal Mobutu (à gauche président de l’actuelle RDC de 1965 à 1997) ou du général Eyadéma (à droite, président du Togo de 1967 à 2005) revient la paternité du premier putsch en Afrique Francophone ? Les avis divergent. Mobutu Sese Seko renverse le gouvernement de Patrice Lumumba dans une certaine confusion, dès 1960. Mais il ne gouverne pas le pays immédiatement.
Il fait un second putsch en 1965 où il s’empare formellement du pouvoir. En Janvier 1963, Gnassingbé Eyadéma assassine le président Sylvanus Olympio du Togo mais lui également ne s’empare pas immédiatement du pouvoir. Il fait un second putsch en 1967, à partir duquel il devient président du Togo.
On le voit les deux hommes ont mené un parcours identique pour accéder au pouvoir. Eyadéma a peut être été influencé par Mobutu. Si Mobutu n’a tué personne dans ses putsch, celui du général Eyadéma en 1963 fut traumatisant pour toute l’Afrique parce qu’il a assassiné ( égorgé ) le président élu.
Ce fut le premier putsch sanglant de l’Afrique post indépendance. Evidemment cela a profondément marqué les esprits, et ouvert l’ère des putschs sanglants sur le continent. Pendant vingt ans, c’est -à -dire jusque qu’au début des années 80, les putsch vont généralement se traduire par la mort du président en place. Pour les historiens, Eyadéma est en partie responsable pour l’avoir fait en premier.
Douglas Mountain- Le Cercle des Réflexions Libérales
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