Scène ivoirienne : « Tidjane Thiam(CEO) n’est ni un dieu, ni un demi-dieu » décryptage Douglas Mountain 

Thiam et la Bastille en 1789

L’interview accordée au journaliste Alain Foka par Tidjane Thiam, et mise en ligne le 27 Juillet dernier, a été longuement commentée par la presse et sur les réseaux sociaux. Deux aspects n’ont pas fait l’objet d’un traitement en profondeur, notamment sondage qu’il a brandi, et le parallèle qu’on établit souvent entre son parcours professionnel et celui du président Ouattara. 

Thiam et son sondage

Thiam a présenté durant l’interview un sondage qui le donne gagnant au second tour face a président Ouattara avec un taux de 57%.  C’est un sondage qu’il brandit depuis un bon moment. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il ne considère ces résultats non pas pour ce qu’ils sont, c’est à dire des projections de résultats, mais vraiment comme de l’évangile, quelque chose dont la véracité, l’exactitude est inscrite dans le marbre. On a l’impression à l’écouter que le sondage équivaut à l’élection elle-même.

Tout d’abord, il ne s’agit que d’un seul sondage, alors qu’il faudrait avoir plusieurs sondages d’agences différentes,  les consolider,  pour vraiment dégager une tendance, comme cela se fait en Europe. Ensuite plus l’échéance est éloignée, plus la décision des individus sondés est susceptible d’évoluer, et donc plus la marge de fluctuation des résultats est importante.

En d’autres termes, un sondage réalisé à trois mois d’une élection par exemple, n’aura pas la même pertinence que celui réalisé à un mois ou une semaine de l’évènement. Donc on revient encore au fait qu’il faut plusieurs sondages échelonnés dans le temps afin de procéder à des projections réalistes. Un seul sondage ne peut en aucun cas donner une vision claire des intentions de l’électorat.

Il y a aussi la question de la composition de l’échantillon de la population qui a été sondé. Contrairement aux pays occidentaux, en Afrique, qu’on le veuille ou non, le réflexe ethnique pèse dans le vote. Cela reste une réalité qu’on ne peut pas ignorer. L’appartenance régionale ou ethnique influence le vote. C’est un fait. Ainsi pour qu’un sondage soit crédible, la composition de l’échantillon doit refléter la proportion des groupes ethniques qui composent la population. Dans le cas contraire, les résultats seront biaisés.

Or les statistiques ethniques ne sont pas mises à la portée du public, à fortiori à la portée d’un institut de sondage.  Et les noms ne permettent pas toujours de catégoriser avec exactitude la région d’origine des individus.  Certains noms qu’on ne va pas citer ici, se retrouvent à la fois au Sud, au Centre, et au Centre ouest. D’autres se retrouvent à la fois au Nord, à l’extrême ouest, et à l’Est du fait de la migration interne, mais aussi de l’appartenance religieuse. L’agence sollicitée par Thiam s’est-elle entourée de toutes ces précautions ? On peut en douter.

Même en Occident, les sondages sont loin d’être une science exacte, à fortiori dans un pays africain. Ce sont les sondages sortis des urnes, qui permettent de réaliser une bonne projection des résultats définitifs au premier tour d’une élection, et éventuellement au second tour, parce qu’ils ont pour base des opinions exprimées ainsi que le taux de participation (une variable clé le jour du vote).

Les résultats de sondage  obtenus en interrogeant des gens dans la rue ou en ligne, ne sont pas des prophéties auto-réalisatrices. Loin de là. Thiam Tidjane devrait donc brandir son sondage avec un peu de retenue. Un sondage n’est pas une élection.

Thiam et Ouattara

Deuxième thème sur lequel il faut revenir, c’est le parallèle qu’on établit souvent entre son parcours professionnel et celui du président Ouattara. Dans l’interview, Thiam a dit refuser qu’on établisse un tel parallèle, estimant que le président Ouattara n’a été qu’un fonctionnaire au FMI (fonds monétaire international),

tandis que lui a été CEO d’entreprises multinationales (ndlr : CEO-Chief Executive Officier…ce terme pour désigner le Président-directeur général ou encore le Directeur Général d’une entreprise), il gagnait « dix fois plus que lui » a-t-il ajouté.   

Thiam devrait savoir que le président Ouattara en tant que Directeur du département Afrique au Fond Monétaire International,  présidait aux plans de relance économique de tout un continent. D’autre part, en tant que Directeur Général Adjoint de cet organisme de 1994 à 1999, il fut  là encore au cœur des politiques économiques mises en œuvre lors de la crise financière de 1995-1997, qui a balayé l’Asie et une partie de l’Amérique latine.

Il est vrai qu’en étant CEO ( PDG) d’entreprises occidentales, Thiam comme il l’a dit sur le plateau, gérait des bilans de plus de 1 300 milliards de dollars, figurait parmi les dix premiers patrons du Royaume Uni, accompagnait les premiers ministres de ce pays dans leurs déplacements….etc…. Mais ces décisions n’avaient pas autant d’impact que celles de quelqu’un qui devait réfléchir à des plans pour sauver des économies telles que la Corée, la Thaïlande, l’Indonésie, le Mexique, etc…..

Thiam a peut-être sauvé des entreprises de la banqueroute et les a fait prospérer, mais son action a été localisée au niveau de la finance européenne, tandis que le président Ouattara dans sa carrière a procédé au sauvetage des économies des pays en faillite en Afrique, en Asie et en Amérique latine.

Ses décisions avaient beaucoup plus d’impact sur les évènements, sur la marche du monde que celles du CEO d’une entreprise d’assurance anglaise ou d’une banque suisse, même avec des actifs de 1 300 milliards de dollars. Le président Ouattara a aussi été gouverneur de la BCEAO entre 1988 et 1994.  Tidjane Thiam devrait avoir ces choses à l’esprit.

Thiam et Billon

Thiam a aussi tenté de rabaisser son principal rival à l’intérieur de son parti, en le présentant comme quelqu’un qui a hérité de ses parents, mais n’a rien accompli de par lui-même. Il faut rappeler à Thiam que ce garçon dont il parle, a certes hérité de ses parents, mais il a fait prospérer cet héritage. Sous son leadership les entreprises familiales ont acquis une autre dimension. Son groupe est aujourd’hui le premier employeur privé du pays, un acteur clé de l’économie qui fait vivre des dizaines de milliers de familles. C’est un accomplissement majeur.  

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Thiam et la Bastille en 1789

Enfin, réagissant à la candidature du président Ouattara, Thiam invite les Ivoiriens à prendre « leur destin en main  et à ne rien attendre des instances international ni d’un homme providentiel », citant au passage les « Français qui se sont libérés de la Bastille en 1789, et les Américains qui ont gagné leur indépendance en 1778″. Thiam oublie de mentionner que dans ces deux évènements qu’il cite, il y a eu des guerres. En fait, il lance ici un appel clair à l’insurrection. 

Nul ne remet en cause sa valeur. Ses compétences professionnelles font l’unanimité. Il incarne le renouveau pour une partie de la population.  Mais qu’il cesse de se présenter comme l’homme le plus intelligent de la planète.

Qu’il cesse de rabaisser les autres. Qu’il cesse surtout de penser que le pouvoir doit lui échoir parce ce que c’est lui, Thiam.  Il n’a jamais gouverné un pays au sommet. Cela devrait l’inciter à un peu d’humilité. Il  ne va pas réinventer la roue. Il n’est ni un dieu ni un demi-dieu.

Douglas Mountain-Le Cercle des Réflexions Libérales

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