Ahoua Don Mello, comme d’habitude, n’élude aucune question et se pose comme un rassembleur au sein du parti en attendant l’arrivée de Gbagbo à laquelle, dit-il, Alassane Ouattara ne pourra pas s’opposer s’il sait lire entre les lignes. Libération de Gbagbo par la CPI, Covid-19, Franc Cfa, unité au sein du FPI…
AHOUA DON MELLO: Il existe deux catégories de chefs d’Etats africains francophones. La première catégorie, c’est ceux à qui la fameuse communauté internationale décerne le permis de tuer. Ceux-là ont droit de vie et de mort sur leur population et ont un titre de propriété sur les biens de leurs victimes. Leurs crimes ne seront jamais dénoncés ni punis et leurs victimes n’ont aucune compassion ni de la part de leurs bourreaux ni de la part de la fameuse communauté internationale. L’omerta sur leurs crimes et leurs victimes est la règle. Ni les ONG, ni la presse internationale, ni la justice internationale n’évoqueront leurs crimes. Ce sont les gardiens de la françafrique.
La deuxième catégorie des chefs d’États africains francophones, ce sont ceux qui veulent soustraire leur pays de la dépendance. Ceux-là sont diabolisés, contraints à abandonner le pouvoir, tués ou emprisonnés avec des raisons fallacieuses, pour des crimes qui dans la réalité s’avèrent fictifs ou sous des prétendus prétextes qu’ils violent les droits de l’Homme et la démocratie ou qu’ils tuent leur propre peuple. Le logiciel est maintenant bien connu pour ceux qui ont suivi le procès de Laurent Gbagbo.
C’est une victoire qui intervient quand même dans un contexte marqué, d’une part, par la création d’une nouvelle monnaie africaine l’ECO, la fin annoncée du FCFA et, de l’autre, par la prévalence de la pandémie du coronavirus. Et franchement, on ne peut pas dire que l’Afrique ait vraiment gagné sur ces différents tableaux.
ADM: La nouvelle monnaie ECO est une initiative des États de la CEDEAO qui a ses caractéristiques propres : monnaie unique et flexible non garantie par l’Europe, dont la banque fédérale africaine est chargée de gérer une partie des réserves des États de la CEDEAO.
Ces deux béquilles qui surévaluent le franc CFA, permettent encore de consommer européen et d’interdire toute politique industrielle car non compétitive avec une telle monnaie. Bref la main gauche a donné, la main droite va reprendre par la consommation massive des produits made in Europe poussées par des investissements improductifs qui donnent de la croissance et entretiennent la pauvreté par l’impossibilité d’une politique industrielle compétitive. Néanmoins, la France a fait sa part, il reste aux états de la CEDEAO de finaliser la mise en place de l’ECO pour mettre effectivement fin au Franc CFA. Cela suppose des chefs d’État souverains.
Laurent Gbagbo a mis en place une initiative pour encourager des solutions africaines aux maux qui nous préoccupent. Clairement, c’est le rapport actuel de l’Afrique au monde que l’ancien président ivoirien veut réviser…
ADM: Laurent Gbagbo, en bon historien, a compris que «toute crise est le laboratoire d’une société nouvelle». Les indépendances africaines des années 1960 ont été la conséquence de l’effondrement financier des anciennes puissances coloniales dû à la crise militaire, économique et sociale consécutive à la Deuxième Guerre mondiale. Cette pandémie qui débouche directement sur une crise financière, économique et sociale, est une opportunité pour l’Afrique de se débarrasser des reliques de la colonisation et donc de construire sa souveraineté. Laurent Gbagbo voit donc une opportunité de réaliser son rêve pour l’Afrique.
ADM: Tout adolescent qui est conscient de ses capacités n’a pas peur de quitter le domicile de ses parents pour se prendre en main et éviter de tendre la main. Donc seuls ceux qui n’ont pas encore conscience des talents que regorge l’Afrique ou qui réduisent les Africains à leur propre prisme de complexe d’infériorité peuvent encore en douter.
Le retour des deux hommes à Abidjan risque d’être une course d’obstacles. Ça ne vous inquiète-t-il pas que les autorités ivoiriennes n’aient toujours pas fait le moindre commentaire officiel ? Et si leurs réticences étaient réelles, comment à votre avis, elles pourraient être contournées ?
ADM: Le régime RHDP a intérêt à faire la bonne lecture de la décision de la cour pénale internationale. L’Occident gère les conséquences de la COVID-19 et donc n’a ni les moyens, ni le temps de gérer une crise pré ou postélectorale. Or il n’y a que la réconciliation des filles et fils du pays qui peut conduire à des élections apaisées. Le permis de violer dans le silence les droits humains octroyé par la communauté internationale au pouvoir RHDP depuis 2011 a créé des rancœurs dans les cœurs de ceux qui ont perdu leurs parents, leurs plantations, leur terre, leur maison, leur village, leurs revenus, leur emploi et même leur droit d’être électeur ou éligible. Laurent Gbagbo, symbole de ces souffrances est le seul capable de convertir les rancœurs en liens fraternels pour éviter toute crise.
Parlons à présent de réconciliation au sein du FPI. La dernière sortie d’Affi N’Guessan ne va pas arranger les choses. C’est une sortie de route rédhibitoire ou bien l’unité est encore possible ?
ADM : Le retour à la liberté d’expression en Côte d’Ivoire est l’œuvre du FPI par conséquent, il sait assumer les avantages et les inconvénients de son œuvre. Le FPI n’est pas à sa première expérience d’unification et de crise interne et ça ne sera certainement pas la dernière. L’unité est un processus et un combat ; un combat contre toute forme de résistance interne et externe au processus.
Comment contenir les vagues de cette contradiction à cinq mois de l’élection présidentielle ?
ADM: Les contradictions actuelles qu’il faut surmonter pour réunifier le FPI sont infimes par rapport aux contradictions d’avant 1988. Il y avait autant de divisions qu’il y en avait sur l’échiquier politique français. Il fallait donc un objectif commun pour rassembler, une méthode de lutte commune et un programme commun qui donne satisfaction aussi bien aux libéraux qu’aux communistes.
Puisqu’on vous a souvent compté parmi les présidentiables du parti, comment vous sentez-vous au moment où l’ancien chef de l’Etat fait son grand retour?
On sait que le président Laurent Gbagbo a souvent compté sur vous, si on s’en tient au nombre de voyages qu’il vous a fallu faire pour le retrouver tantôt à la prison de Scheveningen tantôt à Bruxelles. Quelle sera, à votre avis, sa principale action ou, plus exactement, sa motivation ?
ADM: Il a été très clair : la réconciliation interne au FPI et à la Gauche, la réconciliation avec le PDCI et la réconciliation nationale sont ses priorités.
Comment se réconcilier quand l’adversaire n’est pas dans la même disposition? C’est une vaste problématique mais le cas ivoirien résume bien la question.
ADM: La communauté internationale, qui a été le principal artisan et soutien du régime RHDP, a fait un choix d’une limpidité sans équivoque avec les nouvelles décisions de la CPI. Faire un choix contraire serait prendre un grand risque. La réconciliation n’est donc plus une option mais une nécessité.
Puisque c’est la grande actualité internationale, et en tant qu’Africain, que pensez-vous du meurtre de Georges Floyd ?
Qu’est-ce que vous en pensez ?
ADM: C’est ce que je viens de vous dire. Je vous remercie.
Avec SÈVERINE BLE (Aujourd’hui)
