La prochaine rentrée universitaire en Côte d’Ivoire connaîtra une particularité de taille: la Suppression de toutes les associations ou mouvements d’étudiants et l’instauration d’un syndicat central d’étudiants par le gouvernement ivoirien. Cette décision survient à la suite d’une violente bagarre entre deux associations d’étudiants ivoiriens, la Fesci et l’Agee-ci, deux syndicats réputés être très proches de l’opposition ivoirienne. La bataille pour le contrôle du quai de bus étudiant, engagée par la Fesci et l’Ageeci, a causé la mort de l’étudiant Wilfried Konin.
Elles seraient remplacées, sur décision du gouvernement ivoirien, par un syndicat central d’étudiants qui défendrait les intérêts des centaines de milliers d’étudiants que compte la Côte d’Ivoire. Le gouvernement ivoirien ne profite-t-il pas de ce fait tragique pour asseoir son contrôle et étendre sa main mise sur l’ensemble des étudiants de Côte d’Ivoire ?
Longtemps très mal connues par le grand public en Afrique, les fonctions des Universités méritent d’être rappelées
Les universités sont en effet des miroirs de la société :
plus l’enseignement va mal plus la société se détériore pouvait-on lire. Les Universités dans cette logique sont assimilables à des «baromètres sociétaux». Elles sont des lieux d’expressions plurielles, de promotion de la diversité politique, sociale, culturelle et religieuse.Par essence, les universités sont des espaces de débat contradictoire des idées, et d’émergence de nouvelles pensées. La seconde fonction des universités est la formation. Les universités sont des lieux de formations et de détection des cadres de demain. Elles forment les étudiants afin que ceux-ci proposent des idées nouvelles pour une société meilleure.
Lieux de revendications
Dans cette perspective, les universités participent à l’éveil des consciences. Elles sont des lieux de revendications sociales. A ce propos, l’année dernière en Afrique du Sud, la révolte des étudiants des universités de Pretoria et de Johannesburg a contraint le gouvernement du Président Zuma à baisser les frais d’inscriptions dans les universités publiques sud-africaines. De même, en Côte d’Ivoire, dans les années 90, la lutte pour l’instauration du pluralisme les étudiants ont été capables de faire plier l’échine face aux autorités universitaires. La bataille pour le multipartisme s’est déclenchée depuis les résidences universitaires.
La récente décision du gouvernement Ouattara est donc un viol des libertés. Le front social constitué par les étudiants, les groupuscules opposés au Président Houphouët-Boigny et la société civile ont permis de faire reculer le régime dictatorial d’alors et à autoriser le multipartisme en Côte d’Ivoire.
Ainsi, nous constatons le rôle important que peuvent jouer les universités dans l’instauration de la démocratie et la défense des libertés et des droits fondamentaux. Toutefois, la décision prise par le gouvernement ivoirien aura sans nul doute de multiples conséquences sur le bon fonctionnement des universités ivoiriennes en particulier et pour l’enseignement ivoirien de manière plus générale.
Peut-on accuser la Fesci et l’Ageeci d’être ce type d’association ? Pas sûr ! S’il est vrai que très souvent ces deux structures sont manipulées par certains politiciens véreux et parfois accusées d’être à l’origine de violence sur les campus de Côte d’voire, rien ne garantit que le nouveau syndicat central d’étudiants imposé par le gouvernement sera moins violent que les syndicats d’alors.
Aussi, est-il du devoir du gouvernement ivoirien de se pencher sur les racines de la violence sur les campus universitaires: manque de matériels de laboratoire, difficulté d’obtention de documents administratifs universitaires, surpeuplement des amphithéâtres, manque de chambres dans les résidences universitaires, défaut de professeurs qualifiés, grèves répétées des enseignants…
Cela implique une approche globale participative qui vise les facteurs socioéconomiques générant la violence, et non une approche autoritaire et répressive. Par ailleurs, plusieurs efforts ont été faits par les nouveaux dirigeants des deux associations pour redorer leurs images. Cela leur a permis d’être à maintes reprises reçues par le précédent Ministre Gnamien Konan pour les féliciter.
C’est dans cette perspective que l’ex-ministre de l’Enseignant Supérieur Ibrahima Bacongo, s’était engagé au lendemain de la réouverture des Universités après la crise de 2011, lorsqu’il émettait l’idée du «départ nouveau». Un départ ou toutes les décisions concernant la vie universitaire étaient prises d’un commun accord avec les étudiants, le corps enseignant et le personnel administratif. A moins que le gouvernement ait pour objectif d’instaurer une main mise sur les étudiants.
Car malheureusement en Afrique, les gouvernements cherchent toujours à manipuler et contrôler l’opposition. Quant à la société civile, elle est très souvent absente lors de vrais débats ou ne dispose que de très peu de moyens pour se faire entendre et empêcher les gouvernants de mettre à exécution toutes leurs décisions. Il est donc du devoir de la jeunesse de jouer ce rôle de contre-pouvoir et de s’opposer au «diktat» que lui impose le gouvernement. Les révoltes arabes et burkinabè nous ont montré combien il ne fallait pas minimiser la force de cette tranche de la société qui est très peu concertée lors des prises de décisions.
Enfin, le véritable danger de la décision du gouvernement ivoirien de supprimer les associations et mouvements politiques estudiantins est ce risque du recul de la pensée plurielle en Côte d’Ivoire. Toutes les décisions seront centralisées et prises depuis le sommet. Elles devront être appliquées à l’ensemble des étudiants sans qu’il y ait une quelconque opposition. Le grand danger est qu’une jeunesse dans l’impossibilité de s’exprimer risque de ne trouver refuge que dans la violence.
Noël BLE (étudiant en Droit et Science politique à l’Université Félix Houphouët-Boigny
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