A Abidjan, l’enquête des deux journalistes nigérian et belge, Nicholas Ibekwe et Daan Bauwens, continue de faire parler. Le ministre de la Défense qui s’est senti visé a prestement réagi en opposant ses états de service, selon lui, sans anicroche et en annonçant une plainte contre les auteurs de l’article et les relais. Du coup, l’on n’en sait strictement rien sur la défense du ministre sur le fond de l’article, surtout que toutes les parties citées s’étaient par ailleurs conformées à la règle de l’omerta, comme dans la tradition mafia où le silence est toujours la règle d’or.
La drogue est-elle une fiction en terre ivoirienne ?
Au lendemain de la publication de l’article de deux journalistes d’investigation étrangers sur l’impact de la drogue sur l’Afrique de l’ouest, le gouvernement enregistre le soutien d’une partie de la presse locale. Le directeur général de l’Eléphant Déchaîné, un hebdomadaire satirique ivoirien, a fait un article aux accents patriotiques prononcés sur les réseaux sociaux pour expliquer qu’il ne peut pas soutenir que des journalistes écrivent des informations erronées contre son pays.
La plupart des confrères qui prennent le parti du gouvernement estiment en effet que le fait qu’aucune des parties citées dans l’article n’ait pris soin de répondre aux deux journalistes est la preuve que l’enquête a été bidouillée pour déstabiliser le ministre de la Défense, Hamed Bakayoko qui assume, depuis début mai, l’intérim du Premier ministre malade et soigné en France. Le concerné s’est d’ailleurs fendu d’un communiqué pour y dénoncer une orchestration politicienne dont l’objectif n’échappe à personne.
Drogue et microbes
Ces jeunes qu’on appelle « les microbes », un terme désignant des enfants criminels, ont une histoire qui rappelle la guerre de 2011, à l’occasion de la crise postélectorale. Ces derniers ont en effet été incorporés dans les milices acquises à la cause d’Alassane Ouattara. Ils servaient d’informateurs aux soldats de l’armée rebelle et signalaient toute entrée et sortie d’Abobo où le commando invisible avait établi ses quartiers. Ces enfants criminels prenaient également part aux combats comme le raconte Bernard, un jeune microbe interrogé par les deux journalistes.
Ces enfants tueurs se sont surtout fait connaître à la fin de la guerre lorsqu’au moment du bilan, les promesses d’intégration dans l’armée n’ont pas été tenues. Selon Bernard, leurs chefs avaient été recrutés dans l’armée, dans la gendarmerie ou à la police mais pas eux. Laissés pour compte, ils ont donc fait ce qu’ils avaient coutume de faire en tuant, en pillant, en consommant de la drogue…
A ce propos, Bernard explique qu’ils avaient été rattachés à de nouveaux chefs de fumoirs, leurs nouveaux babatchè, pour l’écoulement de la cocaïne… Les enfants microbes seraient-ils, eux aussi, un mirage ? Leur nouvelle dénomination visant à cacher le mal qu’ils incarnent également fausse ?
Le gouvernement a même annoncé des programmes de réinsertion pour ces tueurs anoblis puisqu’ils n’étaient que « des enfants en conflit avec la loi ».
Fumoirs et théorie de la politisation de la drogue
Il va sans dire que si le gouvernement reste passif devant une telle démultiplication de fumoirs à travers la ville d’Abidjan principalement et montre autant de commisération pour les microbes, c’est bien parce que tel est son intérêt. C’est ce que rappelle l’enquête des deux journalistes.
Un État sérieux devrait donc réagir en répondant aux questions des journalistes étrangers puisque les services aéroportuaires connaissaient les raisons pour lesquelles ils avaient séjourné en Côte d’Ivoire. Comment peut-on, dès lors, faire croire que si personne ne leur a répondu, c’est parce qu’il n’y a pas d’affaire de drogue en Côte d’Ivoire ? N’est-ce pas de la responsabilité de l’Etat, parce qu’il a le devoir d’informer la population, de répondre aux préoccupations des journalistes qui enquêtent sur un sujet ?
Drogue et silence
Les deux journalistes l’ont pourtant fait savoir à la commission d’accès à l’information d’intérêt public (CAIDP) en invoquant leur rôle de censeur. Mais au bout de deux semaines, expliquent-ils, les dirigeants de cette commission avaient cessé de répondre à leurs messages. Qui a donc tort ? Celui qui refuse de répondre ou celui qui est obligé de se contenter des versions qu’il a collectées sur le terrain, encore que la presse ivoirienne a documenté de nombreuses affaires mettant en scène des parrains locaux de la drogue ?
Le patron de la pizzaria Margharita a, lui aussi, été arrêté avec quatre personnes. Son restaurant servait à cacher à couvrir son business de la coque devenue très florissante en Côte d’Ivoire grâce à des mules qui les font circuler sans encombre.Leurs liens avec la pègre colombienne et italienne témoignent d’un changement de paradigme chez les producteurs de drogue à l’international. En effet l’Afrique est devenue un marché au même titre que les marchés occidentaux.
Q’en pense le président Alassane Ouattara?
Avec SEVERINE BLE (Aujourd’hui)
