L’ouest ivoirien, bastion du peuple Wê (guéré et Wobé), a payé un lourd tribut lors de la guerre civile. Cette communauté ancienne, riche d’un patrimoine culturel et spirituel, a vu ses divinités profanées. Le « Gla », entité divine protectrice, garant du développement économique, social, artistique et sportif des wê, a été contraint de se retrancher dans les 18 montagnes. Ses symboles brûlés, sa présence bafouée, aujourd’hui, les Wê entament une difficile renaissance identitaire.
Dans l’Ouest ivoirien, la guerre civile a profondément ébranlé l’identité Wê. Camps sacrés profanés, gardiens des us disparus, attributs brûlés… Le Gla, divinité tutélaire des Wê, est parti dans les montagnes. Aujourd’hui, bien que l’État ait financé la reconstruction des sanctuaires, le plus grand défi demeure : les attributs des ‘’Glae’’.
«Sans ses attributs, un camp est une coquille vide », prévient Tchiéklé Valentin, ex-secrétaire régional des rois et chefs traditionnels du Guémon. Dans cette lutte contre l’exil du Gla, les Wê veulent faire revivre leur spiritualité. Car sans le Gla, sans les Kuï, un homme n’est pas pleinement Wê. Derrière cette quête, c’est toute une civilisation qui tente de renaître, fidèle à ses racines.
Le Gla et les Wê, un ordre spirituel ancien et peuple digne
Le Gla, aussi appelé « Guéla » n’est pas un simple masque ou une représentation folklorique, c’est un dieu. Il est une entité vivante, divine, un esprit né. Selon la tradition Wê, le Gla est issu d’un ordre spirituel ancien. La généalogie Wê veut que les montagnes aient vu sortir d’abord l’homme, suivi du Gla, puis le chanteur, le charlatan et enfin les flûtistes, les « Kuï », mystérieusement jamais apparus. Ce mythe explique leur rareté aujourd’hui et leur rôle crucial dans la culture Wê.
Le Gla ne se sculpte pas, ne s’imite pas. Son apparence, proche des esthétiques gothiques et baroques, a été retrouvée gravée sur les rochers, jamais conçue par des mains humaines. Il est porteur du sens même de l’existence Wê. Rien, selon eux, ne peut réussir sans sa bénédiction.
Son impartialité est légendaire. Il connaît le droit et l’applique avec une science sans pareille. Lorsque deux parties sont en conflit armé en pays wê, selon la ministre A. Gnonsoa « il peut prendre l’initiative de s’interposer…en donnant un mandat exceptionnel a un Gla( guerrier et justicier) pour imposer la paix», fait-elle savoir.
L’apparition du Gla rythme la vie rituelle des Wê : funérailles, bénédictions, fêtes, cérémonies des eaux et forêts sacrées. « Le Gla est là pour notre épanouissement. Malheureusement, cette guerre civile a fragilisée notre épanouissement et agressée violement notre patrimoine, notre héritage et notre culture », affirme Tchiéklé Valentin.
Les attributs des Gla : symboles d’honneur
Dans la région Wê, à l’ouest de la Côte d’Ivoire, le Gla figures respecté des communautés Wê arborent fièrement des attributs colorés et chargés de sens. Mais derrière ces symboles traditionnels se cache un système hiérarchisé, régi par des règles strictes… parfois bafouées. Les plumes, les couleurs, les objets sacrés. À première vue, ce ne sont que des ornements.
Mais dans la culture Wê, ces éléments portés par les Gla, ces initiés investis d’un rôle social et spirituel ne sont pas de simples accessoires : ils incarnent des grades, des statuts, des responsabilités. Ces insignes, appelés « attributs », sont codifiés avec rigueur et surveillés par une autorité traditionnelle bien rodée.
Une hiérarchie sacrée
Les attributs d’un Gla sont définis par son âge et son niveau d’initiation. Ils comprennent des couleurs comme le blanc, le rouge et le noir, mais aussi des plumes d’oiseaux comme l’aigle, l’épervier, le toucan soigneusement sélectionnées selon la sagesse ou la puissance que ces espèces symbolisent. Certains portent aussi des objets plus rares, comme des sache-mousses, des ivoires d’éléphant, signes d’un rang supérieur. Mais attention : tout Gla ne peut pas arborer n’importe quelle plume ou couleur. Chaque détail est porteur de sens, et tout écart est sanctionné.
Quand le mensonge s’habille de plumes
Ces dernières années, les cas d’usurpation d’attributs se multiplient. Certains individus arborent des signes qui ne correspondent ni à leur âge, ni à leur grade réel, dans le but de se faire passer pour des Gla d’un rang plus élevé.
« Ce n’est pas qu’un problème d’apparence, c’est une atteinte à l’ordre traditionnel», confie Tchiéklé Valentin, membre du cercle des initiés chargés de faire respecter les codes. « Quand quelqu’un porte un attribut qu’il n’a pas mérité, c’est tout le système des Gla qui est menacé. »
Les Zo, gardiens de l’ordre initiatique
Face à ces dérives, les Zo initiés et garants de la tradition veillent au grain. Présents dans chaque département de la région Wê, ils ont le pouvoir d’enquêter, de juger, et de sanctionner. Lorsqu’un Gla est suspecté de porter des attributs indus, il est immédiatement signalé. Les Zo se rassemblent alors en camp d’initiés pour évaluer la situation. Si l’usurpation est avérée, les sanctions sont claires : une amende, le retrait des attributs et la déchéance du grade usurpé. « L’attribut n’est pas un costume de parade. C’est une reconnaissance. Celui qui triche doit répondre de ses actes », insiste Valention, témoin de plusieurs procès initiatiques.
Une tradition en mutation…
À l’heure où la société Wê s’ouvre de plus en plus au monde moderne, cette surveillance accrue des attributs montre la volonté des gardiens de la tradition de préserver l’essence de leur culture. Mais pour certains jeunes Gla, les règles semblent parfois opaques, voire inadaptées aux réalités contemporaines.
«On ne nous explique pas toujours clairement les codes. Parfois, on apprend qu’on a fait une erreur quand il est déjà trop tard », confie un jeune initié, récemment sanctionné pour avoir porté une plume d’aigle prématurément.
Entre respect de la tradition et tentations d’ascension sociale rapide, le port des attributs reste un marqueur puissant dans la société Wê. Mais gare à ceux qui veulent tricher avec l’histoire : la communauté, par ses Zo, veille toujours. « Avant, on respectait les interdits du Gla… maintenant les jeunes ne savent plus rien. Ils courent dans la forêt sans comprendre, ils touchent tous, sans crainte ni respect », confie Maman adame Guehi, 68 ans, de Guiglo.
« Même dans les écoles, les enfants ignorent le nom des divinités et des rites. Cela crée un vide culturel que nous avons du mal à combler », explique D.G, instituteur dans le département de Duékoué. « La culture Wê est un exemple rare en Afrique de l’Ouest où le divin régit le social et le politique », expliqu Dr Ibrahim Diabaté anthropologue.
Le Gla, une valeur artistique sans pareille
Le Gla ne se limite pas à l’esprit : il est aussi mouvement. La danse sacrée en pays Wê est liée à la sortie du Gla Klagba, le plus grand masque selon la hiérarchie des Glaé. Sa danse illustre des scènes de la vie: semailles, moisson, guerre. Ces mouvements sont rythmés par un grand nombre de clochettes et d’objets métalliques suspendus à sa tenue composée de feuilles de raphia. Sa coiffe est composée de plumes d’oiseaux. Chaque geste, chaque pas, est codifié selon une hiérarchie spirituelle. Dans ses postures lentes, il incarne la sagesse.
En période de protection, il devient guerrier : ses pas se précipitent, armé de sagaies, il poursuit symboliquement les siens pour rétablir l’ordre. Mais cette tradition millénaire est menacée. Si la danse évolue avec son temps à l’image du « Débahou », né à Guiglo avant de se répandre, son essence se perd. Les instruments sacrés, comme les membranophones ou les flûtes « vlou ôh », sont rares. Leurs rythmes accompagnent les éloges du Gla, ses récits mythiques, ses interdits. Car le Gla régit tout : agriculture, hygiène, mariages. Sans lui, pas de cohésion.
La tradition Wê, une équation difficile pour la jeunesse
« On veut apprendre et respecter nos traditions, mais parfois personne ne nous explique clairement les codes. On ne sait pas si on fait bien ou mal », confie S. G, jeune de 22 ans habitant à Bangolo. L’apprentissage du Gla n’est pas enseigné, il se vit. Dans les forêts sacrées, des jeunes initiés imitent les anciens jusqu’à maîtriser les pas rituels. Mais certains gestes restent réservés au Gla seul. Les transgresser, attirer le malheur. Or aujourd’hui, les interdits sont bafoués par les jeunes, les totems violés, les rites oubliés fragilisent la culture.
« On mange les poissons sacrés. On traverse les villages avec des branches sur la tête. On imite les cris interdits. Résultat : des morts, des éclairs, des désastres », déplore Valentin. Face à cette érosion, des voix s’élèvent. Chefferie, élus, intellectuels sont appelés à s’impliquer. Pas seulement pour réhabiliter, mais pour transmettre. Car les jeunes Wê ignorent souvent jusqu’au nom de leur village. Festivals, actions locales et retour à l’essentiel sont urgents. Car si le Gla disparaît, c’est toute une civilisation qui s’effondre. Et avec elle, l’âme d’un peuple Wê.
« L’État a reconstruit les sanctuaires détruits par la guerre civile, mais le vrai défi reste la réappropriation des attributs et la formation des jeunes Wê. C’est un travail de longue haleine, mais nécessaire pour préserver le patrimoine immatériel », explique H.Z. fonctionnaire au ministère de la Culture avant de conclure que « Des ateliers doivent etre organisés pour former les jeunes à la danse et aux rites des Gla », précise ce fonctionnaire au ministère de la Culture.
Christian Guéhi
Journaliste culturel et critique d’art

