« Gbagbo, Thiam, Soro et Goudé, pas des cas juridiques, mais politiques»
Dans un système cadenassé !
La radiation de MM. Laurent Gbagbo, Tidjane Thiam, Soro Guillaume et Charles Blé Goudé de la liste électorale définitive n’est pas un fait nouveau dans notre pays. L’exclusion ou la tentative d’exclusion de la compétition électorale d’un adversaire politique est une pratique politique récurrente en Côte d’Ivoire depuis trois décennies.

A l’aube du multipartisme, en 1990, le président Félix Houphouët Boigny a tenté d’exclure du scrutin présidentiel son adversaire Laurent Gbagbo, en instaurant une caution de vingt millions de francs à quelques jours de la date limite des dossiers de candidature. Heureusement pour la démocratie, le candidat du FPI a pu réunir la caution exigée.
En 1993, le président Félix Houphouët-Boigny meurt. Une bataille pour sa succession s’engage entre le premier Alassane Ouattara et le président de l’Assemblée nationale, Henri Konan Bédié. Le natif de Daoukro sort vainqueur de cette lutte de pouvoir et s’installe à la maison présidentielle du Plateau, mais la fracture politique entre le nouveau président de la république et l’ancien premier ministre est abyssale.
En 1994, les partisans d’Alassane Ouattara claquent la porte du PDCI-RDA, ils créent un nouveau parti politique : Le RDR. Le pouvoir du PDCI-RDA développe la théorie de l’ivoirité. Celle-ci, juridiquement, redéfinit les conditionnalités d’éligibilité à l’élection du président de la république. En effet, désormais, le candidat à l’élection du président de la république doit être ivoirien de naissance de père et de mère, eux-mêmes ivoiriens. M. Alassane Ouattara affirme qu’il « est visé, mais pas concerné ».

Dans tous les cas, il sera absent des élections présidentielles de 1995 et 2000. Le président du PDCI-RDA, Henri Konan Bédié verra sa candidature, à l’élection présidentielle de 2000, rejetée par la Cour suprême. Toute la lutte politique du RDR de 1994 à 2005 se résumait à la reconnaissance des droits politiques de son leader, Alassane Ouattara.
A l’observation, l’exclusion électorale des adversaires politiques redoutables, potentiels candidats à l’élection présidentielle est une coutume politique ivoirienne. Avant-hier, c’était Alassane Ouattara, hier, Henri Konan Bédié, aujourd’hui, ce sont Laurent Gbagbo, Tidjane Thiam, Soro Guillaume et Charles Blé Goudé qui ne sont pas électeurs, encore moins candidats à l’élection du président de la république.
Tout ceci est symptomatique du refus de la démocratie par la classe politique ivoirienne. Les hommes et femmes politiques ivoiriens rêvent tous d’avoir le destin politique Houphouët-Boigny : Mourir au pouvoir. Le fantasme de la présidence à vie est l’explication rationnelle du refus des pouvoirs successifs d’organiser des élections inclusives.
Les cas de Gbagbo, Thiam, Soro et Blé Goudé ne sont pas juridiques, mais politiques
La passe d’armes entre les juristes du pouvoir et ceux de l’opposition, relativement à l’absence des noms des leaders de l’opposition sur la liste électorale définitive, est intellectuellement séduisante et juridiquement enrichissante.

Cependant, tout le monde le sait très bien, le problème de la réintégration de ces personnalités sur la liste électorale n’est pas juridique. Elle est politique. Seule une mesure d’amnistie peut résoudre les cas de Gbagbo, Soro et Blé Goudé. Dans cette optique, il existe deux possibilités.
D’abord, le parti de Laurent Gbagbo dispose d’un groupe parlementaire à l’Assemblée nationale. Ce groupe parlementaire peut initier une proposition de loi portant amnistie de monsieur Laurent Gbagbo. Selon toute vraisemblance, ne disposant pas de la majorité dans les deux chambres du parlement, les chances d’adoption de cette proposition de loi d’amnistie sont quasi-nulles. Ensuite, dans le cadre de ses compétences constitutionnelles, le président de la république peut prendre une ordonnance portant amnistie.
Il l’a déjà fait en 2018. Madame Simone Gbagbo et d’autres anciens dignitaires du régime Gbagbo en ont bénéficié. Nous sommes sur le terrain politique, cette hypothèse ne peut prospérer que si l’opposition impose au chef de l’Etat un rapport de force qui lui est défavorable. En a-t-elle politiquement les moyens ? La vérité politique est une subjectivité circonstancielle résultante du rapport de force entre les acteurs en présence.

En 2005, le président Laurent Gbagbo avait usé de ses pouvoirs de crise pour la résolution du cas Alassane Ouattara. Il avait activé l’article 48 de la constitution de la deuxième république pour rendre le président du RDR éligible. Laurent Gbagbo ne l’a pas fait parce qu’il était un démocrate. Non. Les circonstances politiques lui ont imposé cette posture politique.
Les présences des forces onusiennes, du représentant permanent du secrétaire général de l’ONU, du représentant du médiateur burkinabé, d’une part, le gouvernement d’union nationale, l’occupation de la moitié du territoire national par des forces rebelles, d’autre part, fragilisent le pouvoir d’Abidjan.
En sus, les différents accords de Linas Marcoussis, d’Accra, de Pretoria mettaient Laurent Gbagbo dans une posture politique inconfortable. Le rapport de force politique lui était largement défavorable. Ironie de l’Histoire, aujourd’hui, Alassane Ouattara est au pouvoir, Laurent Gbagbo est privé de ses droits civiques. Objectivement, aujourd’hui, le rapport de force est en faveur du président Ouattara.
Son parti, le RHDP a la majorité écrasante dans les deux chambres du parlement, il a la majorité des conseils régionaux et des communes. Le chef de l’Etat entretient de bons rapports avec les principaux partenaires au développement. Il peut valablement défendre son bilan économique et social.

Quant au cas Tidjane Thiam, seule une nouvelle révision de la liste électorale avant le 25 octobre 2025 peut lui être salutaire. Sur la question, seule une décision politique peut vaincre l’intransigeance de la CEI. En attendant, les crises électorales successives ont déconstruit la démocratie ivoirienne qui n’a jamais connu d’alternance politique républicaine.
Des alternances politiques sans passation de pouvoir
En 2023, la lumière est venue du Nigéria. Le président sortant, Mohamed Buhari a transmis le flambeau au président élu, Bola Ahmed Tinubu. Un bel exemple de gouvernance politique moderne. Depuis 2003, le géant de l’Afrique connaît des alternances politiques pacifiques et démocratiques. Olusegun Obasanjo remet le pouvoir en 2007 à Umaru Yar’Adua. En 2015, son successeur Goodluck Jonathan transmet le flambeau à Muhammadu Buhari.
Après deux mandats de quatre ans, Buhari quitte le pouvoir. Le Libéria, le Ghana et le Sénégal ont connu des heureuses alternances politiques, ces dernières années. En Côte d’Ivoire, depuis l’indépendance, il n’y a jamais eu de passation de pouvoir entre un président sortant et un président élu. Et pourtant, il y a eu des alternances politiques, malheureusement manquées. En 1993, Houphouët-Boigny meurt, Konan Bédié devient président de la république.

En 1999, le général Robert Guei prend le pouvoir par un Coup d’Etat. Octobre 2000, Laurent Gbagbo occupe le fauteuil présidentiel à la suite d’une élection qu’il qualifie de calamiteuse. Robert Guei, le président sortant prend la fuite. En 2010, Alassane Ouattara prend le pouvoir après une horrible crise postélectorale. Le président sortant est arrêté et emprisonné d’abord, en Côte d’Ivoire, ensuite au Pays-Bas.
De ce qui précède, les ivoiriens n’ont jamais eu le bonheur démocratique de voir un président sortant remettre les rênes du pouvoir à son successeur élu. A l’observation, l’élection du 25 octobre 2025 ne sera pas celle qui permettra à la Côte d’ivoire de rejoindre le club des Etats qui réussissent la passation de pouvoir entre le président sortant et le président élu.
Ledebativoirien.net
Geoffroy-Julien KOUAO, Politologue et Essayiste
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