Christian Guéhi et Mathieu Ndri, deux critiques d’Art avec cette nouvelle année 2023 montent au créneau, portant un regard acerbe dépeignant l’amateurisme dans le milieu musical ivoirien. Un amateurisme avec son poids d’impact négatif sur l’éducation artistique du public.
A travers cette importante contribution sur les attributs du nouveau budget 2023 du ministère de la Culture et de la Francophonie, les deux Critiques d’Art mettent sur la table des observations, les dérives de certaines chaînes de télévision ivoirienne, posant un diagnostic sur les nouvelles approches des médias culturels en Côte d’ivoire. Subjectivité et objectivité se côtoient et font bon ménage dans cette immense réflexion sonnant l’alerte pour une production artistique digne attendue des artistes musiciens ivoiriens. Suivez avec Ledebativoirien.net les 2 Critiques d’Art.
Des artistes musiciens ivoiriens en concert sur la scène de l’amateurisme
Les artistes musiciens ivoiriens convolent en justes noces avec l’amateurisme. Et ce n’est pas bon. Il faut le dire clairement et nettement. Cette nouvelle vague d’artistes musiciens ivoiriens et leurs staffs se plaisent dans l’amateurisme. Cet amateurisme n’épargne pas les producteurs, les organisateurs de spectacle ou encore les chaînes de télévision. Le flou qui règne autour de leurs produits est la caricature de leur savoir-faire et être dans ce milieu. Qui malheureusement laisse à désirer. Avant d’entrer dans le vif de notre regard critique et poser un diagnostic, mettons sur la table des observations, les actions du ministère de la Culture et de la Francophonie. Si l’ambition du Président Alassane Ouattara a pour but de sortir les artistes de la précarité, il faut reconnaître que les artistes eux même surtout musiciens n’y font pas assez d’effort pour être à la hauteur du standing ou l’Etat désire les loger.
Les musiciens ivoiriens ont du mal à tourner le dos à l’amateurisme. Le dire est aussi le rôle des journalistes culturels qui ferment les yeux sur cela pour se loger dans le confort des comptes rendus autour des grandes décisions sur la culture et les arts. Il faut essayer de descendre voir ce qui se passe sur le terrain afin d’analyser et de critiquer. Avec les mutations nouvelles dans ce milieu des arts et de la culture, l’approche des médias, des journalistes culturels et des critiques d’art sur les industries culturelles et créatives doivent changer. Il faut donc actualiser cette approche.
Que dire des consommateurs qui en réalité ont une faible éducation artistique sous nos tropiques ? Nous en parlerons, mais déjà, il est nécessaire d’exprimer les félicitations au ministère de la Culture et de la Francophonie pour sa vision nouvelle des arts et de la culture. La professionnalisation du secteur des arts et de la culture continue son petit bonhomme de chemin avec des efforts sans pareil sous la direction de la ministre Françoise Remarck.
Pour preuve, elle a obtenu le vote au Sénat du budget 2023 qui s’élève à 21,3 milliards FCFA, après avoir exposé les articulations de son programme qui tournera autour de la politique nationale de la culture conçue pour faire de la Côte d’Ivoire, le hub de la culture dans la sous-région. Cette politique dans sa matérialisation a déjà donné lieu en Conseil des ministres le 20 octobre 2021 à l’adoption d’un décret portant statut de l’artiste. Ledit décret élaboré répond au souci de formaliser et de professionnaliser le secteur en vue de créer un environnement propice à l’exercice de la profession d’artiste.
Selon l’article 4 dudit décret : » Il est délivré une carte professionnelle à l’artiste dans les conditions prévues par la réglementation régissant le secteur artistique concerné « . Justement, la loi N°2014-425 du 14 juillet 2014, portant politique culturelle, énonce en ses articles 30 et 31 que l’Etat de Côte d’Ivoire doit définir un statut des artistes et prendre des mesures appropriées qui soient adaptées à chaque catégorie d’artiste pour garantir leur protection sociale.
C’est une excellente volonté de voir les créateurs qui exercent le métier d’architecture, sculpture, arts visuels (peinture, dessin, photographie, design), musiciens, littérature (écrivain), arts de la scène (théâtre, danse, mode, mime, cirque, humour, conte), le cinéma et l’audiovisuel, avoir une carte liant l’Etat de Côte d’Ivoire à leurs professions.
Le constat de l’amateurisme
Nous allons être un peu subjectifs en y ajoutant une dose d’objectivité. Les artistes chanteurs et musiciens de la nouvelle génération sont allergiques au mot » album » par contre foisonnent et frissonnent d’amour pour le mot »single ». Ça, c’est leur choix et nous le respectons. Cependant, nous voulons de grâce être protégés de toute forme de pollutions sonores véhiculées. Si nous ne prenons pas garde, l’amateurisme et le laisser-aller finiront par détruire l’image musicale du pays et les retombées de cette politique nationale de la culture conçue pour faire de la Côte d’Ivoire, le hub de la culture dans la sous-région iront en vrille.
Il y a aussi ici, des artistes musiciens qui attristent, car dans le rendu de leurs travaux, nous identifions à chaque fois, de longues vagues d’onomatopées, des phrases décousues et souvent dépourvues de sens avec des sujets ayant comme points culminants les fesses, le sexe et le caleçon. Est-ce ça, le modèle qu’il nous faut léguer à la postérité ? Est-ce avec ça qu’on veut musicalement être le hub de la culture dans la sous-région ? C’est malheureusement ces artistes qui défilent dans la presse écrite, sur les réseaux sociaux et sur nos plateaux TV, Radio…
La folie des TV quant à la recherche d’audience
Aujourd’hui, le culte de l’audience a donné lieu à des programmes qui détruisent chaque jour l’éducation du public, si bien que la logique devient douteuse dans l’esprit des consommateurs. La plupart de ceux qui sont invités sur nos chaînes de télévision ne sont pas des modèles. La recherche aveuglante d’audience à tout prix les oblige à servir aux téléspectateurs, les vices dans les vies privées des personnes qui ne sont pas des modèles à recommander. Sans mesurer véritablement l’impact négatif sur l’éducation artistique du public, les Policiers chargés de la régularisation dans cette sphère ferment les yeux sur ses produits à imposer aux consommateurs à cause de leur légèreté dans les sanctions.
La population ivoirienne a aujourd’hui, une très faible éducation artistique. C’est pareil pour l’éducation politique, sportive, économique, sociale, et même civique. Qui a la responsabilité de fabriquer ces éducations du public ? Il faut situer les responsabilités. Nous y allons consacrer une réflexion très prochainement sur cette question. Alors au nom de quoi une chaîne de TV peut se permettre de fragiliser l’éducation des consommateurs ? Au nom d’une caution d’un milliard, toute une éducation artistique et les bonnes mœurs doivent partir en vrille ? La musique ivoirienne actuelle est une musique commerciale et parfois très mauvaise.
Les idéologies développées et habillées par les sons autour d’harmonisation sont creuses et vides de sens. La bonne musique, on la connaît, elle est dans le temps et le temps subit son impact, pas le contraire. Il faut avoir l’honnêteté de signaler l’ingéniosité des beatmakers et des arrangeurs. À la vérité, sans l’implication de ces techniciens de la musique, les chansons d’ici seraient des misères auditives puisque le plus souvent l’analyse de texte expose des travaux d’un grand vide sémantique.
Repositionner la Côte d’Ivoire afin d’être à nouveau, le hub de la culture dans la sous-région est possible, car sa capitale Abidjan l’a déjà été et y demeure un peu moins d’avant. Pour preuve, Abidjan était dans les années 80 à l’an 2002 considéré comme la plaque tournante de la Culture. Nous pensons, sincèrement, que la plaque à tellement tournée qu’elle a fini par avoir le vertige au point où la majeure partie de cette génération ne comprend rien de l’univers de la musique.
C’est tristement ce grand public qui, ne maîtrise vraiment rien de l’analyse critique d’une œuvre artistique qui détient la clé des nominations, des votes et des récompenses. Pour finir, on fait l’éloge des connaissances, des émotions puis on balance une honte interminable à la face de la raison et de la valeur. Encouragés par des hommes de média et de culture, ils brandissent fièrement la »Prim’nulle » pour le bonheur de cette tranche de la population.
Voilà donc des analphabètes de la musique qui votent pour que des pseudo-chanteurs glanent des prix. nous voudrions une fois de plus leur dire bravo pour la course délirante aux nombres de vues et pour les discours de bistrot dispersés ou déversés sur nos différents plateaux, et que vive le ridicule. Sans parcours, sans formation, on devient artiste après le témoignage d’un parent, après un rêve, après une vision… Sans parcours, sans formation, on devient responsables de structures artistiques et culturelles.
Le problème, n’est-il pas en lien avec les ondes ou les vibrations néfastes de cette époque dite moderne ou contemporaine où l’exception devient la règle. Où les nuls sont positionnés comme leaders. Où on confond nomination et qualité. Où le mot »mérite » doit absolument céder sa place à la fanfaronnade. Où les paresseuses sont appelées influenceuses. Où ses pseudo-influenceurs sont considérées comme des pétales, des modèles de réussite. Où on considère que le caleçon est plus long que le pantalon. Non, nous disons non à cette façon de voir et de faire.
Le délire des promoteurs de spectacle et la ‘’fausseté’’ chez les artistes et dans les contrats
Le spectacle est un contrat entre l’artiste et le public. Malheureusement l’équipe managériale et l’artiste lui-même ne savent vraiment pas qu’il faut que chacun remplisse sa part du contrat. Au regard de certains concerts réalisés entre la période 2002 à 2022, il faut noter beaucoup de rater. Et les choses sont allées de mal en pire. L’honnêteté professionnelle en tant que journaliste culturel, critique (en) d’art et analyste culturel nous oblige à en parler. Aussi, la formation des journalistes culturels et critiques d’art est l’une des causes, car il faut savoir la responsabilité réelle de ceux qui font la promotion des arts et de la culture par les médias.
Des artistes, musiciens qui ont 3 singles en 20 ans annoncent des concerts de carrière. Avoir fait un album de 8 titres en 20 ans d’existences ne devrait pas donner l’autorisation de dire par exemple que «j’ai 30 ans de carrières ». C’est valable pour tous. Alors dans quelles mesures peut-on parler de célébrer une carrière musicale ? Avoir traîné dans le milieu en 40 ans ne donne pas le titre de 40 ans de carrière. Et même quand les concerts sont organisés, il faut aussi faire la différence entre le concert réussi et celui qui ne l’est pas.
L’opérateur culturel Mike Alabi fait bien de proposer ce repère. Le concert qui est un échec est celui dont la salle est comblée avec une mauvaise prestation musicale. Le concert est qualifié de mauvais concert live lorsque la salle est comble avec une sécurité garantie, mais une prestation artistique ratée. Le concert est qualifié de mauvais malgré la salle comble avec une sonorisation et ingénierie du son approximatives et agaçantes. Le concert est qualifié de mauvais concert live lorsque la politique de mobilisation, de marketing et de communication est réussie, mais avec une prestation artistique et musicale décevante.
Un concert live est considéré comme mauvais si la mobilisation des autorités politiques, administratives et des mécènes culturels est réussie et que les prestations artistiques et musicales sont ratées. Un concert est raté même si le public est minime et que la prestation laisse à désirer. Le concert est mauvais même si les satisfactions économiques et financières y sont, mais offre une mauvaise prestation artistique et musicale. Un mauvais concert est celui où l’engagement est honoré avec une bonne probité morale du promoteur, mais une mauvaise prestation artistique et musicale.
Quand en est-il de la non-présence de l’artiste comme on le voit fréquemment sous nos tropiques ces derniers temps ? La liste des exemples prouvant les mauvais concerts, le live n’est pas exhaustif. Elle est légion. Parler de concert live implique à l’origine une meilleure adéquation entre l’artiste et l’orchestration musicale déployée par ses musiciens sous la houlette d’un ingénieur du son expert en la matière. Ainsi à travers ce regard critique, il s’agit pour nous de présenter un diagnostic qui peut être utile aux renforcements de toutes politiques visant à mieux organiser ce milieu pour en tirer profit tant au niveau de la professionnalisation des artistes que de l’éducation artistique du public. Nous finirons par une série de questions.
Où et quand le titre d’artiste professionnel est-il reconnu ? Quels sont les critères pour être reconnue comme artiste professionnelle ? Une célébration de 10 ans de carrière musicale par exemple doit être matérialisée par combien d’albums sur le marché ? Quelles sont les salles du ministère en dehors du palais de la culture qui peuvent aider les jeunes artistes à se produire ? Existe-t-il des soutiens octroyés aux associations de critiques d’art et journalistes culturels pour leurs actions de promotion des arts et de la culture par les médias ? Sur combien d’années pensons-nous concrètement faire de la Côte d’Ivoire un Hub dans la sous-région ? Les 21 milliards correspondent-ils au budget adéquat pour créer ce Hub ?
Autant de questions qui pourraient aider le public à mieux comprendre et jouer son rôle dans la fabrication de cette Hub bien sûr avec la contribution des médias, journalistes culturels et critiques d’art. À travers ce regard critique, nous essayons d’offrir aux artistes, aux organisateurs, aux consommateurs et au gouvernement un diagnostic qui peut être utile aux renforcements de cette politique mise en place par l’Etat en vue de faire de la Côte d’Ivoire, le hub de la culture dans la sous-région». Une contribution de Christian Guehi, Critique d’art et journaliste culturel Spécialiste des questions de promotion des arts et de la culture par les medias ; et, N’Dri Mathieu kouadio Critique d’art Conseiller Diplômé d’Actions Culturelles, Doctorant en Art-Culture et Développement.
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