Côte d’Ivoire-nettoyage  à  sec : Cissé Bacongo,  » l’ange de la mort  » ? Qu’a-t-il réellement en tête ?

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Démolir pour des questions  »d’esthétique » Ministre gouverneur  

« Au lendemain de la victoire à la CAN, dont les ondes positives continuaient d’impacter le moral de la population, le nouveau gouverneur du district d’Abidjan, le ministre Cissé Ibrahima (plus connu sous le nom de Cissé Bacongo), par ailleurs maire élu de la commune de Koumassi, avait une idée bien arrêtée en tête : raser tous les quartiers du district d’Abidjan répertoriés comme « précaires » par ses services, sans concertation, sans sommation, sans plan de relocalisation des populations déguerpies. En fait, l’opération avait déjà débuté durant la CAN dans les communes de Port-Bouët et du Plateau. Puis il eût une pause, sur l’intervention du Premier-Ministre, selon la presse.

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Le ministre Cissé Bacongo. L’homme est unanimement jugé  »sans cœur » par la presse et par l’ensemble de l’opinion. D’où lui vient cette aversion pour les quartiers précaires ?

Du 19 Février au 25 Février, soit juste une semaine après la victoire des éléphants, les bulldozers entraient en action, réduisant en champ de ruines les quartiers de gesco et banco I (commune de Yopougon), boribana et mossikro (commune d’Attécoubé).

Les images des champs de ruines et de gravats sur les réseaux sociaux vont créer une onde de choc. On se demandait où se trouvait l’urgence d’une telle opération. Le ministre Bacongo avait prévu mettre en œuvre la plus vaste opération de démolition des quartiers précaires jamais entreprise à Abidjan. 177 quartiers étaient ciblés sur l’ensemble du district.

Alors que les économistes avaient prédit que  »l’effet CAN’’ se ferait ressentir durant trois à quatre mois sur la consommation, ce vent d’optimisme a laissé place à la tristesse et la psychose. Ces démolitions ont fait entrer le pays dans une tragédie silencieuse, une sorte de  »deuil », comme si  »l’ange de la mort’’ frappait sans faire de bruit.  Quand on se rend sur site, on est tétanisé, bouleversé par l’immensité des destructions, et cette question vient à l’esprit : comment des autorités qui disent travailler pour le bien-être des populations, peuvent-elles agir ainsi ?

La commune de Koumassi est généralement présentée comme un exemple de la transformation d’une commune. Son maire, le ministre Cissé Bacongo a été élu « Maire de l’Année » il y a quelque temps. Il fut unanimement félicité. Es-ce la raison qui a poussé le Président Ouattara à le nommer Gouverneur du District d’Abidjan ? Certes aujourd’hui à Koumassi de nouvelles voies ont vu le jour, certaines ont été dédoublées, des trottoirs ont été pavés, le grand marché sera bientôt livré, et le grand carrefour sur le boulevard Valéry Giscard d’Estaing a fière allure.

Engins de chantier procédant à la destruction du quartier Fanny dans la commune de Koumassi en 2022 ledebativoirien.net
Engins de chantier procédant à la destruction du quartier Fanny dans la commune de Koumassi en 2022

Mais ces investissements sont l’œuvre du Projet de Renaissance des Infrastructures en Côte d’Ivoire (PRICI), un fond d’urgence mis en place dès 2012, conjointement par la Banque Mondiale et l’Etat de Côte d’Ivoire, doté initialement de 100 milliards de FCFA.

Ce fonds intervenait sur les infrastructures qui n’avaient pas subi d’entretien sur la période 2000-2011. Le ministre Bacongo a fait jouer ses relations pour bénéficier des financements. La Mairie de Koumassi est bien trop démunie pour bitumer une seule artère sur son propre budget. Elle a disposé de moyens qui ont fait défaut aux autres communes. Ainsi le « travail » accompli par le ministre Cissé Bacongo à Koumassi doit être relativisé.

En dépit des réalisations, la commune reste aujourd’hui meurtrie du fait de la vaste campagne de démolition de ses quartiers répertoriés comme précaires. Les stigmates sont toujours visibles, plus de trois ans après. Des zones densément peuplées ont été rasées et sont devenues des terrains vagues. Des milliers de familles ont été abandonnées à leur sort, sans aucune aide, au mépris des dispositions légales qui font obligation aux autorités de prendre toutes dispositions pour les recaser sur de nouveaux sites. C’est ce schéma, que le ministre Bacongo  comptait manifestement reproduire à l’ensemble du district d’Abidjan.

LIRE : https://www.ledebativoirien.net/2024/02/face-a-face-a-yopougon-le-gouverneur-cisse-bacongo-intraitable-le-president-ma-demande-de-lutter-contre-le-desordre-urbain-et-linsalubrite-comme-je-lai-fait-a-koumassi/

Kibera, le plus grand bidonville d'Afrique, aujourd’hui encerclé par la capitale kényane Nairobi. Sa démolition n'a jamais été évoquée quoi que Nairobi soit l'une des capitales les plus modernes d'Afrique. ledebativoirien.net
Kibera, le plus grand bidonville d’Afrique, aujourd’hui encerclé par la capitale kényane Nairobi. Sa démolition n’a jamais été évoquée quoi que Nairobi soit l’une des capitales les plus modernes d’Afrique

Un quartier précaire peut se définir comme une série d’habitations établies spontanément sur une zone non viabilisée, non prise en compte par un plan directeur d’urbanisation. A la longue, il arrive que l’Etat finisse par prendre en compte l’existence de ces zones et y apporte des services (écoles, dispensaires, éclairage public, bitumage des axes, plan cadastral, etc.).

Tel fut le cas de la commune d’Abobo, qui est une juxtaposition de quartiers précaires surgis spontanément le long de l’axe qui sort d’Abidjan en direction de l’Est du pays. Tel aussi fut le cas Attécoubé.

Une ville africaine qui se développe voit émerger des quartiers huppés, mais aussi des quartiers précaires, résultat de la différence de revenus entre les individus. En fonction du salaire, l’individu se dirige vers les zones où l’habitat lui est abordable. C’est une loi universelle. Démolir les zones précaires ne va pas résoudre le problème de fond, à savoir les bas revenus. Bien sûr, la démolition peut s’imposer pour les habitats bâtis sur l’emprise d’une infrastructure, sur le flanc de collines, ou sur les ouvrages de drainage. De telles démolitions sont envisageables, sous réserve que les dispositions soient prises pour le recasement des populations concernées, comme l’exige la loi.

Mais il ne faut pas démolir pour des questions  »d’esthétique ». On assiste aujourd’hui à des démolitions gratuites, que rien ne justifie. Dans une interview en date du 1er Mars dans le quotidien Fraternité matin, monsieur Cissé Bacongo justifie la démolition au quartier Gesco de Yopougon par le fait qu’il se situait à l’entrée de la ville d’Abidjan, et ne reflétait pas la réputation de la capitale économique car « il ressemblait à un village ». Cette déclaration le condamne, elle prouve sans ambiguïté que l’objectif premier des démolitions reste bien l’embellissement de la ville d’Abidjan, et non la sécurité ou le bien-être des populations comme souvent il l’affirme. 

assalé tiémoko à gesco yopougon ledebativoirien.net

Les parties du quartier  »Boribana » étant sur l’emprise du quatrième pont avaient été rasées il y a trois ans. Ce qui restait n’était sur aucune emprise, mais cette partie vient d’être démolie parce qu’elle   »ne faisait pas joli » avec l’échangeur du quatrième pont juste à côté.

Le quartier banco 1 n’était ni sur une colline, ni sur un ouvrage de drainage, ni sur une emprise, mais avait l’inconvénient de  »ressembler à un village » et d’être visible depuis l’autoroute, à l’instar de Gesco. D’où sa démolition.  En fait, le gouverneur Bacongo a une obsession, il ne veut pas entendre parler de quartiers précaires, c’est une fixation qui le ronge de l’intérieur. Le drame se joue à ce niveau. Pour lui « Les habitants de Cocody doivent envier Koumassi  » ! D’où les démolitions massives dans cette commune, un schéma qu’il comptait reproduire sur l’ensemble du district.

Face au spectacle affligeant de toutes ces familles qu’on aperçoit au milieu des matelas, réfrigérateurs, valises, et gravats des habitations détruites, comment se sent le ministre Bacongo ? Où est la compassion du gouverneur face à la détresse de ses administrés ? Avant qu’il ne soit maire à Koumassi, il donnait l’image d’une personnalité mesurée et consensuelle. On était loin d’imaginer qu’il pouvait à ce point se montrer dénué d’émotions, qu’il ferait montre d’autant de méchanceté gratuite, de tant d’excès de zèle destructeur. Il a su mettre en veilleuse cette partie de sa personnalité.

Après les démolitions de Koumassi et la réprobation générale qui a suivi, on croyait qu’il avait tempéré ses ardeurs. Hélas ! Ce qui s’est  passé prouve le contraire, l’homme est devenu encore plus impitoyable. Comme un génie malfaisant, il avait lancé la campagne de démolition en pleine CAN  avant que le Premier Ministre ne le contraigne à une pause !  Voulait-il gâcher la fête ?  Est-il en pleine possession de ses facultés de jugement ? Son discernement est-il toujours en place ? Avons-nous affaire à quelqu’un de désaxé ? Qu’a-t-il réellement en tête ? Ces questions sont légitimes à ce stade.

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Lorsqu’il était ministre de la fonction publique, sa gestion des fonds des concours (les frais dont s’acquittent les candidats) était des plus opaques. La presse en faisait régulièrement cas.

Sa gestion de la commune de Koumassi n’est pas aussi un modèle, quoi qu’en disent les apparences. Véritable prédateur, il est accusé d’être derrière toutes les entreprises prestataires de la commune. Il y a aussi cette affaire de 110 milliards décaissés pour la rénovation des universités et dans laquelle son nom est régulièrement cité, en tant que ministre de l’enseignement supérieur à ce moment.

Le 27 Février 2024, en conseil des ministres, l’homme a été dessaisi de la conduite de l’opération de déguerpissement. C’est désormais le PM Beugré Mambé qui va s’en occuper. On a aussi appris que les quartiers concernés sont au nombre de 30 et non 177. Enfin ces quartiers ne seront pas démolis mais  »réhabilités » selon les termes du communiqué officiel.

Si on peut espérer que les démolitions n’iront pas plus loin, il faut quand même rester vigilant car l’homme demeure le gouverneur du District d’Abidjan. Sa démission serait de nature à rassurer l’opinion, elle est d’ailleurs réclamée. Quoique dotées d’infrastructures relativement avancées, Abidjan est une ville d’Afrique et non d’Europe. Il ne faut pas le perdre de vue. »-ParDouglas Mountain -Le Cercle des Réflexions Libérales.

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