«La pauvreté en Côte d’Ivoire est un délit politique »
Geoffroy-Julien Kouao, Politologue et essayiste, auteur de plusieurs publications dans cet entretien avec Ledebativoirien.net porte un regard aussi critique qu’ouvert sur la démocratie en Côte d’Ivoire.
Il éclaire le président de la Commission Électorale Indépendante-CEI, Coulibaly Kuibiert. L’absence de Laurent Gbagbo de la liste électorale sera un signe perturbateur en 2025 ? Suivez ce qu’en pense le politologue Geoffroy Julien Kouao….
Il est affirmé par le régime au pouvoir que la Côte d’ivoire est un État démocratique. Vous ne semblez pas partager cette version eu égard à votre récente position sur le plateau d’une télévision ivoirienne face au président de la CEI. Pourquoi ne partagez-vous pas cette version?
Dans une démocratie, le mode de désignation des gouvernants est l’élection. Celle-ci repose sur le suffrage universel qui signifie que les hommes et les femmes; les lettrés et les illettrés ; les riches et les pauvres peuvent être électeurs et candidats.
Au moyen âge, le suffrage était masculin, capacitaire et censitaire, c’est à dire que respectivement les femmes, les illettrés et les pauvres étaient privés du droit de vote, subséquemment du droit d’être candidats. C’était le suffrage restreint.
Les femmes ont eu le droit de vote en France seulement en 1944. Le suffrage universel est venu abolir le suffrage restreint. C’est à ce titre que l’article 52 de la constitution ivoirienne dispose que « le suffrage est universel, libre, égal et secret ».
Malheureusement, l’article 52 du code électoral impose un cautionnement de 50 millions pour être candidat à l’élection présidentielle. C’est le retour du suffrage censitaire. Les pauvres, c’est-à-dire, ceux qui n’ont pas 50 millions ne peuvent pas faire acte de candidature si telle était leur ambition de devenir président de la République.
De ce qui précède, le pauvre peut être électeur, mais il ne peut pas être candidat. La pauvreté en Côte d’Ivoire, est un délit politique. La ploutocratie, le pouvoir des riches, remplace la démocratie, le pouvoir du peuple. Par ailleurs, l’absence de plafonnement des dépenses électorales crée l’inégalité entre les candidats fortunés et ceux moins nantis financièrement.
Le suffrage est égal quand tous les candidats ont un accès égal aux médias, quand la CEI (commission électorale indépendante) leur donne le même nombre de matériels électoraux et lorsqu’ils ont un compte de campagne de montant égal. Si, en Côte d’Ivoire, les deux premières exigences sont respectées, force est de constater l’absence de plafonnement des dépenses électorales. La conséquence est politiquement désastreuse.
Prenons l’exemple de l’assemblée nationale. Elle est censée être la représentation nationale, c’est à dire qu’on devrait y trouver les personnes de la bourgeoisie, de la classe moyenne et des classes populaires.
Ce qui n’est pas le cas. Avec notre système électoral, il est difficile voire impossible d’avoir un chauffeur de taxi, de bus, un paysan, un ouvrier, une fille de ménage, une vendeuse d’alloco, un sans emploi, un éboueur, un agent de bureau…., à l’Assemblée nationale. De ce qui précède, nous devons améliorer notre système électoral pour consolider davantage notre vie démocratique.
Sur le même plateau, le président a déclaré haut et fort que vous étiez un cadre de la CEI et qu’il n’a pas jugé bon de faire recours à votre expertise. Comment percez-vous cette déclaration ?
Un expert est un spécialiste dans un domaine donné. Il donne des conseils, des avis en cas de besoin à sa hiérarchie. Celle-ci est libre d’utiliser ou non les conseils des experts. C’est Mao, le leader chinois, qui disait « les conseils, je les demande non pas pour les suivre, mais pour m’éclairer ».
Quel regard portez-vous sur le climat politique actuel avec de plus en plus d’actions des principales forces politiques ? Est-ce le signe qui augure du jeu électoral ouvert pour 2025 ?
Deux choses. D’abord, l’arrivée de Tidjane Thiam apporte une amélioration qualitative au débat politique. Il a, non seulement introduit les idées au cœur du débat politique, mais il parle bien et juste. Il n’insulte pas ses adversaires politiques, il n’a pas de propos haineux et communautaristes contrairement à la classe politique ivoirienne traditionnelle. Ensuite, relativement à 2025, il est à souhaiter une élection inclusive, ouverte.
Les tentatives malheureuses d’exclusion de candidats à l’élection présidentielle, depuis 1995 est la principale cause des violences électorales en Côte d’Ivoire. Pour 2025, il serait démocratiquement avantageux que tous les poids lourds politiques puissent compétir.
L’élection n’est belle que quand elle est libérale, c’est à dire, ouverte, inclusive et concurrentielle.
Pensez-vous que l’absence de Laurent Gbagbo de la liste électorale sera un signe perturbateur en 2025 ?
Non, je ne pense que le PPA-CI est dans logique belliqueuse voire conflictuelle. Non. Le parti de Laurent Gbagbo est dans une démarche républicaine. Le PPA-CI a tendu la main au pouvoir, celui-ci l’a saisie à moitié avec la mesure grâce. C’est une avancée. Je pense que les négociations entre Laurent Gbagbo et le président Ouattara d’une part, et celles entre les forces politiques d’autre part, dans le cadre du dialogue politique, permettront de trouver la solution idoine pour des élections ouvertes, inclusives et apaisées en 2025.
Ledebativoirien.net
HERVE MAKRE
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