Chronique-Christian GAMBOTTI : « Abidjan ne regarde plus du seul côté de Paris dans la relation Côte d’Ivoire-France : Perte d’influence ou défaite de l’Occident en Afrique ? »

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Agrégé de l’Université CHRISTIAN GAMBOTTI  est  Président du think tank Afrique & Partage. Il est également, Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) et Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan). Chroniqueur, essayiste, politologue, il planche ici sur  les relations historiques entre la Côte d’Ivoire et la France dans un contexte d’ouverture multilatérale. Suivez !

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« Parlons clair : l’impression d’une perte d’influence de l’Occident en Afrique et de la France dans son ancien pré-carré francophone est une réalité. Est-ce une défaite en Afrique de l’Occident ou de la France comme certains l’écrivent ?

Je ne le crois pas, contrairement à la somme des faux livres dont la ligne éditoriale sur le départ de la France du Mali, du Burkina Faso ou du Niger se résume ainsi : « itinéraire d’une défaite ». Aujourd’hui, l’Occident en général et la France en particulier sont concurrencés par des offres alternatives de partenariats dans tous les domaines.

La concurrence est rude, car l’Afrique est reste un enjeu géopolitique, géoéconomique et géopolitique pour les puissances étrangères, grandes ou moyennes, anciens ou nouveaux « amis » du continent. Dans notre monde devenu multipolaire, les cartes des relations internationales, celles du vieux monde de Yalta et de la période post-Guerre froide, sont rebattues. Les pays africains, qui souhaitent affirmer leur souveraineté, sont libres de choisir leurs partenariats économiques et leurs alliances géopolitiques.

Cette liberté s’affirme au moment où une puissance comme la Russie cherche à bâtir un affrontement entre d’une part le « Sud global », qui, historiquement, englobe l’Afrique, et d’autre part l’« Occident collectif », où l’on retrouve les anciennes puissances coloniales. Ce narratif antioccidental que délivrent les « fermes à trolls » russes s’est emparé d’une partie du cerveau de la rue africaine et de la jeunesse, mais il n’est pas accepté par tous les États africains qui continuent à miser sur les accords bilatéraux avec les pays occidentaux. Ces accords sont une meilleure garantie pour la stabilité politique du continent et la paix, et, sous certaines conditions, pour son développement économique et social.

Relations bilatérales franco-ivoiriennes

● Echanges commerciaux – L’importance des échanges commerciaux, des Investissements directs étrangers (IDE) et de la présence française confirme qu’il existe, entre la France et la Côte d’Ivoire des liens de coopération solide, qui ne s’expliquent pas uniquement par le partage d’une histoire commune et d’une langue de travail. Selon les chiffres d’Expertise France en Côte d’Ivoire, la France reste le 1er  investisseur dans ce pays :

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« Les IDE (Investissements Directs Etranger) en provenance de la France s’établissent en moyenne à plus de 160 Millions EUR par an (200 M EUR en 2021). Plus de 90% du stock d’IDE français est orienté vers les branches d’activité suivantes : finances, hydrocarbures, électricité, eau, BTP, industrie, agro-industrie, transport, hôtellerie, distribution, télécom et audiovisuel. La présence française est estimée à près de 240 filiales installées et près de 1 000 entreprises de droit ivoirien créées et dirigées par des Français. »

● Assistante technique – Il faut noter aussi l’importance de l’assistance technique apportée par la France. Avec Expertise France, son agence de coopération technique, la France met en œuvre un dispositif d’assistance technique en Côte d’Ivoire, – premier pays d’intervention de l’agence dans la région du Golfe de Guinée -, pour la réalisation d’une vingtaine de projets nationaux et régionaux, « principalement dans les domaines de l’éducation et de la formation, de la gouvernance économique et financière, du développement durable, de la sécurité (maritime, cybersécurité…) et du changement climatique. »

● Coopération financière – Selon Charles Coste, l’un des meilleurs spécialistes des finances publiques, « depuis la sortie de crise en 2012, la Côte d’Ivoire est ouverte et éligible à l’ensemble des outils financiers du Trésor, ce qui a permis d’accompagner le développement du pays dans différents secteurs stratégiques. La mobilisation des prêts du Trésor a notamment permis de financer la ligne 1 du métro d’Abidjan ».

Les prêts du Trésor abondent au financement de « la réhabilitation et reconversion des points d’eau en zone rurale, de l’adduction d’eau potable dans les villes, de la construction et l’installation de ponts métalliques à travers le pays, la fourniture d’équipements médicaux d’une dizaine d’hôpitaux ou encore l’installation d’un supercalculateur dans le Centre national de calcul de l’Université Félix Houphouët-Boigny. »

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Dans la coopération financière, il faut souligner l’importance de  la garantie des crédits exports, un outil particulièrement sollicité en Côte d’Ivoire dans tous les secteurs, notamment pour les grandes infrastructures économiques, dont le dernier exemple concerne une infrastructure sportive avec le stade national de Yamoussoukro pour la CAN 2023. Il faut encore citer la mise en œuvre, par l’AFD (Agence Française de Développement), de la 3ème édition du Contrat de désendettement et de développement (C2D), les prêts consentis, souverains ou non.

Il est, bien entendu, impossible, dans le cadre de cette chronique, d’analyser en détail la coopération bilatérale entre la Côte d’Ivoire et la France. Il faudrait parler des accords de défense, de la coopération culturelle et scientifique (Ce qui me frappe en Côte d’Ivoire, c’est l’extraordinaire demande de culture, de savoirs et la formidable créativité des artistes ivoiriens dans tous les domaines. Aujourd’hui, la musique ivoirienne part à la conquête du monde, l’art contemporain africain s’affiche à Paris. Le dernier SILA (Salon International du Livre d’Abidjan) témoigne de la vitalité de la littérature ivoirienne, de la créativité des auteurs et des éditeurs.), revenir sur cet objet idéologique et polémique que constitue le Franc CFA, seule garantie de la stabilité des économies de deux zones Franc, alors que l’on assiste à l’effondrement des monnaies nationales africaines.

Il n’est pas question pour la Côte d’Ivoire de renoncer à diversifier ses partenariats. Les nouvelles générations sont connectées à la planète entière et elles s’ouvrent sur le monde. Abidjan ne regarde plus du seul côté de Paris. Le président Alassane Ouattara vient de se rendre au Sommet Corée du Sud-Afrique qui s’est tenu à Séoul et où 48 États africains étaient invités. L’Afrique a tout intérêt à regarder du côté du versant asiatique de l’Occident.

« En soixante ans, la Corée du Sud est passée d’un pays en développement à la treizième puissance économique mondiale : c’est une réussite dont se sert Séoul pour vendre son modèle de développement aux pays africains », selon Françoise Nicolas, chercheuse à l’IFRI, (article « posté » dans Le Monde Afrique du 5 juin 2024). La Corée du Sud appartient à l’Occident collectif, ce qui, pour moi, représente une meilleure garantie pour nouer des partenariats « gagnant-gagnant », même si, comme tous les pays du monde, la Corée du Sud cherche à sécuriser son accès aux minerais stratégiques du sous-sol africain.

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Les partenariats entre l’Afrique et l’Occident se feront toujours avec plus de transparence que les échanges commerciaux qui se nouent entre le continent et la Russie ou la Chine. L’Afrique reste sous la menace de la « dette chinoise » ;

en RDC, Félix Tshisekedi vient de renégocier le méga contrat minier léonin que Kabila avec signé avec Pékin. La Russie reste un partenaire secondaire en Afrique, et même un « nain économique », loin derrière la Chine, l’Union européenne, les États-Unis ou la Turquie. Entièrement tournée vers une économie de guerre dominée par le complexe militaro-industriel, la Russie se contente d’être le premier fournisseur d’armes en Afrique et d’y envoyer des instructeurs militaires. Est-ce suffisant ?

(La présence des Russes au Mali, au Burkina Faso et au Niger ne fait pas reculer la menace terroriste, contrairement à ce que dit la propagande des militaires au pouvoir. Elle a même fait reculer la démocratie. Et elle a accéléré la spoliation des richesses naturelles du sous-sol africain par des milices privées En réalité, la Russie s’est contentée de saisir l’opportunité que lui offrait le rejet par les populations des gouvernements civils et démocraties que soutenait l’Occident, sans vouloir s’immiscer dans la gouvernance locale.)

L’Afrique ne peut pas se laisser enfermer dans le camp d’un « Sud global » qui serait l’une des armes imaginées par Vladimir Poutine pour détruire l’Occident »-Pr Cristian GAMBOTTI (Chroniqueur, essayiste, politologue).

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