urgent-Côte d’Ivoire-Don Mello: «Contrairement aux autres partis le FPI est un front d’idées et de cadres présidentiables, avec le retour de Gbagbo, nous avons le présidentiable des présidentiables »

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Ahoua Don Mello, comme d’habitude, n’élude aucune question et se pose comme un rassembleur au sein du parti en attendant l’arrivée de Gbagbo à laquelle, dit-il, Alassane Ouattara ne pourra pas s’opposer s’il sait lire entre les lignes. Libération de Gbagbo par la CPI, Covid-19, Franc Cfa, unité au sein du FPI…

donmello  Monsieur le ministre, vous vous êtes montré très démonstratif à l’annonce de la révocation des principales restrictions qui empêchaient Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé de quitter Bruxelles et La Haye. C’est une victoire importante et pour vous prendre au mot, vous dites «aucun Africain digne ne sera désormais transféré à la CPI parce qu’il a fait le choix de la souveraineté pour son peuple». A votre avis, c’est ce message que le monde doit retenir à l’issue de cette libération ?

AHOUA DON MELLO: Il existe deux catégories de chefs d’Etats africains francophones. La première catégorie, c’est ceux à qui la fameuse communauté internationale décerne le permis de tuer. Ceux-là ont droit de vie et de mort sur leur population et ont un titre de propriété sur les biens de leurs victimes. Leurs crimes ne seront jamais dénoncés ni punis et leurs victimes n’ont aucune compassion ni de la part de leurs bourreaux ni de la part de la fameuse communauté internationale. L’omerta sur leurs crimes et leurs victimes est la règle. Ni les ONG, ni la presse internationale, ni la justice internationale n’évoqueront leurs crimes. Ce sont les gardiens de la françafrique.

La deuxième catégorie des chefs d’États africains francophones, ce sont ceux qui veulent soustraire leur pays de la dépendance. Ceux-là sont diabolisés, contraints à abandonner le pouvoir, tués ou emprisonnés avec des raisons fallacieuses, pour  des crimes qui dans la réalité s’avèrent fictifs ou sous des prétendus prétextes qu’ils violent les droits de l’Homme et la démocratie ou qu’ils tuent leur propre peuple. Le logiciel est maintenant bien connu pour ceux qui ont suivi le procès de Laurent Gbagbo.

don melloL’acquittement de Laurent Gbagbo vient de prouver clairement qu’il n’était pas à la CPI parce qu’il a commis des crimes mais parce que sa vision du devenir de son pays constituait un obstacle à la mainmise sur son pays. Si les progressistes du monde entier avaient perdu la bataille de la libération de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, tous les Chefs d’État et leaders africains qui portent et porteront la même vision finiraient à la CPI. Donc la libération de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé, c’est aussi la libération des chefs d’États et leaders africains porteurs de la même vision, à savoir : le choix de la souveraineté des Etats africains. C’est donc une nouvelle ère qui s’ouvre pour le continent.

C’est une victoire qui intervient quand même dans un contexte marqué, d’une part, par la création d’une nouvelle monnaie africaine l’ECO, la fin annoncée du FCFA et, de l’autre, par la prévalence de la pandémie du coronavirus. Et franchement, on ne peut pas dire que l’Afrique ait vraiment gagné sur ces  différents tableaux.

ADM: La nouvelle monnaie ECO est une initiative des États de la CEDEAO qui a ses caractéristiques propres : monnaie unique et flexible non garantie par l’Europe, dont la banque fédérale africaine est chargée de gérer une partie des réserves des États de la CEDEAO.

DONMELLO LEDEBATIVOIRIEN.NETLa mise en place de l’ECO supposait la fin du FCFA. Les récentes décisions de la France ne mettent pas fin au FCFA mais révise les accords de coopération monétaires entre la France et ses anciennes colonies de l’Afrique de l’Ouest. Désormais les réserves du compte d’opération seront gérées par la BCEAO et non par le trésor français. Les béquilles de la parité fixe et de la garantie de la France sont maintenues. Sur les trois béquilles des accords monétaires, la béquille centrale saute et les deux autres restent.

Ces deux béquilles qui surévaluent le franc CFA, permettent encore de consommer européen et d’interdire toute politique industrielle car non compétitive avec une telle monnaie. Bref la main gauche a donné, la main droite va reprendre par la consommation massive des produits made in Europe poussées par des investissements improductifs qui donnent de la croissance et entretiennent la pauvreté par l’impossibilité d’une politique industrielle compétitive. Néanmoins, la France a fait sa part, il reste aux états de la CEDEAO de finaliser la mise en place de l’ECO pour mettre effectivement fin au Franc CFA. Cela suppose des chefs d’État souverains.

donmelloLa COVID-19 a imposé le « chacun chez soi » et a mis en évidence la dépendance de l’Occident vis-à-vis de la Chine pour des produits essentiels, ainsi que l’arrêt de la machine économique. L’endettement massif pour soutenir le chômage et l’activité économique réduit considérablement la capacité financière de l’Occident et donc l’entretien de la machine de domination des pays africains. Financer un procès coûteux qui a montré toutes ses limites et financer l’effondrement probable des réserves de la BCEAO dû à l’impact de la COVID-19 sur la balance des paiements tout en entretenant une machine militaire qui peine à contenir l’avancée des Djihadistes ne sont plus tenables. Il revient donc aux chefs d’États africains de se libérer avec la libération de Laurent Gbagbo pour construire une souveraineté sous-régionale derrière l’ECO.

Laurent Gbagbo a mis en place une initiative pour encourager des solutions africaines aux maux qui nous préoccupent. Clairement, c’est le rapport actuel de l’Afrique au monde que l’ancien président ivoirien veut réviser…

ADM: Laurent Gbagbo, en bon historien, a compris   que «toute crise est le laboratoire d’une société nouvelle». Les indépendances africaines des années 1960 ont été la conséquence de l’effondrement financier des anciennes puissances coloniales dû à la crise militaire, économique et sociale consécutive à la Deuxième Guerre mondiale. Cette pandémie qui débouche directement sur une crise financière, économique et sociale, est une opportunité pour l’Afrique de se débarrasser des reliques de la colonisation et donc de construire sa souveraineté. Laurent Gbagbo voit donc une opportunité de réaliser son rêve pour l’Afrique.

don melloJe sais que je vais vous agacer en le demandant mais est-ce que les Africains sont prêts à se passer du monde occidental ? Nombre d’entre eux ne voient l’Afrique que comme une vallée de larmes.

ADM: Tout adolescent qui est conscient de ses capacités n’a pas peur de quitter le domicile de ses parents pour se prendre en main et éviter de tendre la main. Donc seuls ceux qui n’ont pas encore conscience des talents que regorge l’Afrique ou qui réduisent les Africains à leur propre prisme de complexe d’infériorité peuvent encore en douter.

Le retour des deux hommes à Abidjan risque d’être une course d’obstacles. Ça ne vous inquiète-t-il pas que les autorités ivoiriennes n’aient toujours pas fait le moindre commentaire officiel ? Et si leurs réticences étaient réelles, comment à  votre avis, elles pourraient être contournées ?

ADM: Le régime RHDP a intérêt à faire la bonne lecture de la décision de la cour pénale internationale. L’Occident gère les conséquences de la COVID-19 et donc n’a ni les moyens, ni le temps de gérer une crise pré ou postélectorale. Or il n’y a que la réconciliation des filles et fils du pays qui peut conduire à des élections apaisées. Le permis de violer dans le silence les droits humains octroyé par la communauté internationale au pouvoir RHDP depuis 2011 a créé des rancœurs dans les cœurs de ceux qui ont perdu leurs parents, leurs plantations, leur terre, leur maison, leur village, leurs revenus, leur emploi et même leur droit d’être électeur ou éligible. Laurent Gbagbo, symbole de ces souffrances est le seul capable de convertir les rancœurs en liens fraternels pour éviter toute crise.

FPI AFFI GBAGBO LEDEBATIVOIRIEN.NETLa communauté internationale qui a beaucoup investi en Côte d’Ivoire a fait la bonne lecture en libérant Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé avant les élections. Il revient donc au régime RHDP de faire la même lecture au risque de récolter ce qu’il a semé.

Parlons à présent de réconciliation au sein du FPI. La dernière sortie d’Affi N’Guessan ne va pas arranger les choses. C’est une sortie de route rédhibitoire ou bien l’unité est encore possible ?

ADM : Le retour à la liberté d’expression en Côte d’Ivoire est l’œuvre du FPI par conséquent, il sait assumer les avantages et les inconvénients de son œuvre. Le FPI n’est pas à sa première expérience d’unification et de crise interne et ça ne sera certainement pas la dernière. L’unité est un processus et un combat ; un combat contre toute forme de résistance interne et externe au processus.

don melloS’il a fallu 6 ans de 1982 à 1988, avec patience, persévérance et persuasion contre toutes les formes de critiques acerbes pour unir en une force compacte de tous les petits partis qui s’épuisaient en lutte fratricide, il faudra certainement moins pour réunifier ce qui était déjà uni. Avec la libération et le retour prochain de Laurent Gbagbo, trait d’union et principal architecte de la création du FPI, le processus prendra un coup d’accélérateur. Il faut donc persévérer pour faire baisser les résistances internes afin de faire face aux résistances externes qui ne manqueront pas dans un contexte ou la seule chance du RHDP de rester au pouvoir est d’élargir par tous les moyens les fissures internes au FPI et de briser toute forme d’alliance contre sa résistance à la réconciliation et à l’alternance. La raison de l’union l’emportera sur les raisons de la division.

Comment contenir les vagues de cette contradiction à cinq mois de l’élection présidentielle ?

ADM: Les contradictions actuelles qu’il faut surmonter pour réunifier le FPI sont infimes par rapport aux contradictions d’avant 1988. Il y avait autant de divisions qu’il y en avait sur l’échiquier politique français. Il fallait donc un objectif commun pour rassembler, une méthode de lutte commune et un programme commun qui donne satisfaction aussi bien aux libéraux qu’aux communistes.

don melloLa démocratie socialiste, la transition pacifique à la démocratie et les «Propositions pour gouverner la Côte d’Ivoire » ont été les réponses. Il fallait un professionnel de la politique doté d’une grande culture politique et idéologique pour convaincre et vaincre toutes les résistances internes et déjouer toutes les manœuvres externes pour aboutir à la naissance du Front en pleine clandestinité où la liberté d’expression et de réunion politique étaient interdites en dehors de celle du parti unique. Même le nom «Front Populaire Ivoirien» a fait l’objet de multiples concertations et de débats houleux. Aujourd’hui, toutes ces contradictions n’existent pas. Il faut simplement réunifier ce qui était déjà uni avec des mises à jour des textes fondamentaux du parti.

Puisqu’on vous a souvent compté parmi les présidentiables du parti, comment vous sentez-vous au moment où l’ancien chef de l’Etat fait son grand retour?

gbagboADM: Contrairement aux autres partis en Côte d’Ivoire, le FPI est un front d’idées et de cadres présidentiables. Avec le retour de Laurent Gbagbo, nous avons le présidentiable des présidentiables. En plus, nous avons un FPI et une gauche en unification et le rapprochement du FPI avec le PDCI. Dans ces conditions, la victoire n’est plus une hypothèse. C’est une certitude pour 2020.

On sait que le président Laurent Gbagbo a souvent compté sur vous, si on s’en tient au nombre de voyages qu’il vous a fallu faire pour le retrouver tantôt à la prison de Scheveningen tantôt à Bruxelles. Quelle sera, à votre avis, sa principale action ou, plus exactement, sa motivation ?

ADM: Il a été très clair : la réconciliation interne au FPI et à la Gauche, la réconciliation avec le PDCI et la réconciliation nationale sont ses priorités.

Comment se réconcilier quand l’adversaire n’est pas dans la même disposition? C’est une vaste problématique mais le cas ivoirien résume bien la question.

ADM: La communauté internationale, qui a été le principal artisan et soutien du régime RHDP, a fait un choix d’une limpidité sans équivoque avec les nouvelles décisions de la CPI. Faire un choix contraire serait prendre un grand risque. La réconciliation n’est donc plus une option mais une nécessité.

Puisque c’est la grande actualité internationale, et en tant qu’Africain, que pensez-vous du meurtre de Georges Floyd ?

floydADM: Il y a des passés qui ne passent pas et qui se répètent tant qu’il n’y a pas de justice équitable et/ou les préjudices et les injustices réparés. C’est le cas de l’esclavage et de la colonisation dont le logiciel s’installe dans certains cerveaux sous forme de complexes d’infériorité ou de supériorité avec des comportements de chasseurs détenant un permis de chasse et sont impunis  pour les uns et d’animaux domestiques sans maître pour les autres ne méritant ni justice ni réparation.

Qu’est-ce que vous en pensez ?

ADM: C’est ce que je viens de vous dire. Je vous remercie.

Avec SÈVERINE BLE (Aujourd’hui)

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